Le point sur la politique actuelle du blog (2)

Kekkan Sensen

Je m’étais déjà livré à l’exercice l’année dernière. Suite à quelques articles récents, j’ai estimé qu’il était temps de remettre le couvert.

Récemment, je râlais contre des sites de comics, qui au lieu de parler de leur sujet premier exploitaient la popularité de leurs adaptations pour attirer des visiteurs, et ainsi les faire vivre. Comme je l’ai alors indiqué, je comprends cette démarche, mais ne peut décemment la cautionner. Et cela résume assez quelques coups de gueule que j’ai pu pousser dernièrement, que je pourrais résumer de la sorte : ce n’est pas parce que je peux comprendre une situation que cela la rend nécessairement légitime. Concernant ces sites, j’ai souhaité les visiter pour glaner quelques informations concernant les comics, pour finalement découvrir des plates-formes toujours plus focalisées sur le cinéma, bien plus fédérateur. Impossible de s’abonner aux principaux sites spécialisés, sous peine de se voir inonder d’articles aussi passionnants que « Nouvelle photo de tournage pour X-Men : Apocalypse ». Là où cela me navre, c’est que si je fais la démarche de m’intéresser à un média consacré aux comics, c’est pour m’informer sur… ? Les comics ! Mais comme diraient Philippe & Philippe, de feu la librairie Arkham Comics, les lecteurs représentent une quantité risible par rapport aux spectateurs attendant fébrilement la prochaine adaptation en date. Ces sites ont accepté cette réalité, au détriment de leur propos premier. Ils continuent certes à parler comics, mais leurs articles sont noyés dans la masse. En attendant, je préfère me tourner vers des médias plus amateurs, réellement consacrés à ce sujet.

Comprenons-nous bien : je ne râle pas pour le plaisir de râler, mais parce que j’estime que certaines pratiques méritent d’être dénoncées, soulignées, combattues, sous peine de les voir se généraliser.
Prenons un exemple qui parlera, j’en suis sûr, à tous. Lorsqu’un éditeur de manga annonce la « mise en pause » – et nous savons ce que cela signifie réellement – ou le ralentissement d’une série en raison de ventes jugées trop faibles, il existe deux façons de réagir. La première, c’est d’avancer les difficultés économiques liées aux échecs commerciaux, et d’afficher sa compréhension. La seconde, c’est de s’insurger contre un éditeur qui, lorsqu’il commence un titre, devrait s’engager auprès de son public à aller jusqu’au bout.
S’il s’agit d’une petite société comme Akata, je le regretterais pour peu que je suive le manga concerné, mais je l’accepterais. Mais quand cela vient d’une compagnie disposant de l’exclusivité, en France, des livres arborant les mots « Avengers » ou « Guardians of the Galaxy » sur leur couverture, étrangement, cela passe beaucoup moins bien.
Nous pourrions penser, à priori, qu’arrêter ou ralentir une série correspond à une problématique purement économique. C’est parfaitement faux. En effet, comment expliquer que certains éditeurs – Pika et Panini Comics, pour ne pas les nommer – se montrent bien plus prompts que leurs concurrents à recourir à ces pratiques, sinon par une question de volonté ? Tous souffrent de séries accusant de mauvaises ou de très mauvaises ventes, mais la gestion de chacun diffère : certains tenteront le pari des volumes doubles pour en finir le plus rapidement possible, d’autres afficheront une volonté inébranlable d’aller au bout quitte à devoir ralentir le rythme mais communiqueront en conséquence, là où les deux maisons susnommées rechigneront à faire trop d’efforts, alors qu’elles ne sont financièrement pas les plus à plaindre.
Ma hantise, c’est que si personne ne leur reproche, cela leur donnera l’impression – ainsi qu’à leurs concurrents – qu’ils disposent du champ libre pour étendre le processus. Disons qu’ils mettent un coup d’arrêt à un titre, le justifiant par un volume de ventes à 500 exemplaires à la nouveauté ; si le public accepte cet argument, qu’est-ce qui les empêche de tenter d’en faire de même pour 600, 800, puis 1000 exemplaires ? Aucun éditeur n’aime les titres déficitaires.
Surtout, ce n’est pas parce que nous ne suivons pas une série arrêtée ou ralentie qu’il faut penser que cela ne nous concerne pas. Car le coup d’après, nous compterons peut-être nous aussi parmi les lecteurs bafoués.

Autre sujet brûlant : les collusions entre prescripteurs et éditeurs. Les blogueurs ont ceci de commun avec les youtubeurs, qu’il s’agit d’individus à priori lambda s’adressant à d’autres individus lambda. En cela, ces deux médias s’opposent à la presse papier, aux sites professionnels, et bien entendu à la télévision, où tout parait sélectionné en amont, calibré, pesé, créant ainsi une distance avec le spectateur ou le lecteur. Or, justement, les blogs et vidéos Youtube donnent une impression de proximité, de personnes se ressemblant, communiquant en passant outre les impératifs des grands médias, et permettant au final la naissance d’une complicité entre auteurs et audiences. Une complicité finalement toute relative, parfois artificielle, et savamment entretenue par ceux qui y voient une des raisons principales de leur succès. A mon sens, cela leur donne un pouvoir, et comme dirait l’oncle Ben, cela implique des responsabilités. Or, certains se montrent plus prompts à exploiter ce pouvoir qu’à assumer ces responsabilités.
Concrètement, lorsque vous voyez Johnny Hallyday à la télévision, vanter les mérites d’une marque de lunettes, vous savez qu’il a été payé pour le faire. Par contre, quand un youtubeur encense un jeu en particulier, la proximité avec le spectateur donne l’illusion d’un ami donnant un conseil ; et, entre amis, pourquoi se mentir ?
Si tous maintiennent cette illusion de proximité, c’est non seulement car ils en font un argument séduction auprès de leur public, mais aussi car certains l’utilisent comme argument auprès des compagnies désireuses de vendre leurs produits par leur biais. Et ça, c’est franchement dégueulasse, c’est trahir la confiance de ses spectateurs, ou de ses lecteurs dans le cas d’un blog.
Pour moi, recevoir un chèque d’Activision ou le dernier manga de Ki-oon, cela revient exactement au même : le public a le droit de savoir que l’auteur a reçu une compensation, ou du moins qu’il n’a pas eu à réaliser une démarche préalable ou à débourser de l’argent pour découvrir une œuvre. Certains, comme Paoru ou Bobo, annoncent clairement la couleur. Mais la plupart n’en disent surtout rien, de peur de s’aliéner leur audience voire leurs sponsors, ou tout simplement car ils n’ont pas conscience de l’immoralité de leur démarche.

Je ne fais pas que râler, loin de là. J’ai aussi mes coups de cœur, j’aime traiter de sujets de fond, et je parle d’œuvres issues d’horizon divers, pour lesquelles je me borne à donner mon avis d’individu lambda à ceux que cela pourrait intéresser. Je sais que je peux me montrer intransigeant, mais j’estime pouvoir me le permettre et mon attitude reste en adéquation avec ce que je prône. Néanmoins, il semble que ce soit surtout cette réputation de râleur qui me colle aux basques depuis quelques années déjà. Croyez-moi sur parole, ce n’est pas voulu : je considère seulement que certains sujets méritent d’être débattus. Et comme je n’ai aucune contrainte, aucun impératif lié à mon blog, je peux bien dire ce que je veux, sans avoir peur d’ouvrir ma gueule.

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3 commentaires pour Le point sur la politique actuelle du blog (2)

  1. Meloku dit :

    Je réagis juste sur le sujet des « collusions entre prescripteurs et éditeurs », parce que je ne suis pas d’accord avec toi.

    « Pour moi, recevoir un chèque d’Activision ou le dernier manga de Ki-oon, cela revient exactement au même »

    Désolé de commencer par la fin, mais la virulence de cette phrase m’interpelle. Je ne comprends pas comment on peut comparer quelqu’un qui reçoit un chèque à quelqu’un qui reçoit un produit dans le but d’en parler (et donc, de base, pas pour en assurer la promotion). Je veux dire par là que celui qui reçoit un billet pour faire de la pub est ni plus ni moins corruption. Alors que celui qui reçoit son est libre d’en parler en bien ou en mal, de faire part de son esprit critique. Après l’objectivité de certains est discutable…

    Pour prendre mon exemple, je reçois des sp depuis plusieurs années maintenant, mais j’en reçois très peu. En tout, ça doit représenter moins de 1% de ma collection… En fait, quand un manga m’intéresse vraiment, je le demande. Et je ne pense pas que le fait qu’il m’ait été « offert » par un éditeur influe mon avis. Au pire (et par manque de temps), je n’en aurais pas parlé si j’avais dû le payer, mais c’est tout.

    Pour ce qui est de la proximité, je suis toujours content quand un visiteur aime un manga que je recommande (provenant de sp ou non). Je connais les gens qui lisent mes articles et qui se manifestent (en commentaires ou sur les réseaux sociaux), et je connais plus ou moins leurs goûts. Alors la proximité ne sera jamais aussi proche qu’avec un pote qui vient chez moi m’emprunter des mangas, mais quand même ! Je ne vais pas dire à une personne de lire absolument un manga de genre x (toujours reçu en sp ou non) alors qu’il aime un genre y. Avec les personnes dont j’arrive à cerner les goûts, je me trompe rarement (et quand je me trompe, je m’en veux).

    Enfin bref, ce que je veux dire par là, c’est que je pense être ni corrompu ni même influencé par un quelconque éditeur.

    De la même manière, je lis ou j’écoute des chroniques de mangas auxquels je fais confiance. Je sais que Koiwai de Manga-news reçoit pas mal de sp, mais je me retrouve dans ses goût. Je trouve qu’il fait un boulot formidable et impressionnant. Je sais que Kubo de Mangacast critique à partir de sp, mais j’ai confiance en son franc parler. Idem pour Paoru, idem pour Caf de Coyote. Et cetera.

    Sinon je te rejoins un peu. Quand je vois certains blogs chroniquant plus pour faire plaisir aux éditeurs que pour combler les attentes de leur lectorat, j’ai mal au cœur. A leur place, je ne pourrais pas dormir (bon ok, je suis insomniaque et c’est déjà le cas, mais bon t’as compris l’idée). Quand je vois tout le monde reprendre des erreurs d’un communiqué de presse, ça m’exaspère… Ou d’autres exhibant des goodies offerts par les éditeurs, aaaaah !
    Et j’ai parfois peur d’entrer dans cette catégorie sans m’en apercevoir, d’où ma justification un peu longue (désolé). Enfin je me dis que tant que je ne fais pas de concours éditeur à la con, que je ne fais pas d’interview de type dont je n’ai jamais entendu parler et que je ne demande que les mangas qui m’intéressent beaucoup (en plus comme je vis à l’étranger, je n’en demande plus sauf en pdf), je n’ai pas trop de soucis à me faire.

    (Au passage, comme Bobo j’ai déjà mis « reçu en sp » dans une chronique, mais je me suis rendu compte que les gens s’en foutent royalement.)(Alors, comme ça fait moche, j’ai arrêté.)(Et puis Bobo a chroniqué Double je à partir d’un pdf.)(Bisou Bobo si tu me lis.)

    (Et même si je trouve les conflits d’intérêt entre parlant et producteur (manga, cinéma, musique, jeu vidéo etc.) graves, je n’oublie pas que le même type de conflits existe pour d’autres secteurs d’activité (comme les produits pharmaceutiques) et qu’ils sont autrement plus néfastes. Mieux vaut lire un manga nul conseillé par un blogueur peu scrupuleux (et puis ne plus jamais écouter ses conseils) que crever.)

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  2. Gemini dit :

    Je ne prononcerai pas pour Koiwai, mais pour l’avoir vu régulièrement faire ses courses de manga, je peux t’assurer que c’est très impressionnant ; à tel point que je je serai disposé à lui laisser le bénéfice du doute concernant les SP.

    Pour le reste, déjà, merci pour ton commentaire. Je comprends ta réaction ; ma comparaison se voulait exagérée, mais elle reflète bien ce que je pense. Pour moi, recevoir un SP, pour un amateur, représente une collusion superflue avec les éditeurs, induisant au mieux un biais cognitif – ne pas avoir payé pour le produit rendra une éventuelle déception plus supportable – au pire un copinage qui se fera nécessairement au détriment du lecteur, alors qu’il ne devrait rien exister de tel entre amateurs. Tu le dis toi-même : il t’arrive de parler d’un titre parce que tu l’as reçu en SP, alors que tu estimais que tu ne l’aurais pas fait si tu l’avais payé (sans doute car il n’y avait rien de remarquable à mentionner à ce sujet) ; or, toute publicité est une bonne publicité.

    Bobo a eu totalement raison de le mentionner dans son article ; et si je n’ai pas fait de remarque à ce sujet, c’est tout simplement car cela devrait aller de soi. Je veux savoir si je lis ou non un article traitant d’un SP, et ne pas l’indiquer revient à mon sens à mentir au lecteur.

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  3. Bobo dit :

    Pour le pdf de Double Jeu, que le support soit physique ou numérique, ça reste un truc gratuit obtenu via l’éditeur, donc un SP (même si je peux pas le refourguer sur le marché de l’occasion). :3

    (Bisous)

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