Qu’est-ce qu’un Shônen Aï ?

J’ai déjà évoqué précédemment le Yaoi, pourtant il me parait pertinent de rajouter à ce propos un court article à ma série « le manga pour les nuls« . En effet, en raison de la multiplication des termes associés aux manga relatant des histoires d’amour homosexuelles à destination du lectorat féminin, il convient de répondre à cette autre question fondamentale : qu’est-ce qu’un Shônen Aï ?

Boys Love, Yaoi, Shônen Aï, à priori tous ces mots signifient la même chose là où un seul aurait pu suffire ; pourtant, il n’est pas rare de les retrouver, sous des définitions parfois différentes.
En France, ce n’est pas bien compliqué, nous utilisons le mot « Yaoi » pour absolument tout. Il a l’avantage d’être court, exotique, facile à retenir, et parfaitement hermétique pour ceux qui ne le connaissent pas. Il devient possible à une jeune fille de parler Yaoi sans que cela ne suscite la gène de son entourage, qui bien souvent ne comprendra pas sa signification à moins d’être déjà au fait de ces publications.

Au Japon, la situation est différente. Le premier terme associé à ce qui apparait au début comme un sous-genre du Shôjo sera « Shônen Aï ». Seulement, se pose le problème de son sens ; si nous pouvons le traduire par « amour de (jeune) garçon », il peut signifier aussi bien « amour entre (jeunes) garçons » que « amour pour les (jeunes) garçons », d’où une connotation pédophile largement négative. De plus, il s’avère rapidement désuet, plus aisément associé par les lecteurs à ces manga des années 70 où les personnages vivaient leurs sentiments comme des drames, et des titres comme Le Cœur de Thomas dont une nouvelle génération d’auteurs va rapidement s’émanciper.
En parallèle, ces histoires d’amour vont connaitre un essor important par le biais de la production amateur, aidée par l’apparition de conventions dédiées à commencer par le Comiket. Ces dôjinshi prendront rapidement le nom de « Yaoi« , d’après l’acronyme d’une phrase censée résumer le genre.

Au début des années 80, nous nous retrouvons donc avec un terme destiné aux publications professionnels mais dont le sens premier ne correspond plus aux réalités d’un marché en plein bouleversement, et un autre associé plus volontiers aux dôjinshi.
La solution viendra de l’éditeur Magazine Magazine. De 1978 à 1979, il publie le mangashi spécialisé Comic Jun, qui se solde par un échec. Entretemps, il avait été rebaptisé June, d’après la prononciation japonaise du nom de famille de l’artiste français Jean Genet ; et c’est ce même June que la société décide de relancer en 1981, cette fois avec succès. Pionnier de la diffusion professionnelle de manga centrés sur les relations homosexuelles masculines, il sera suivi en 1984 par le magazine June DX, devenu depuis Comic June.
Ainsi, c’est tout naturellement que le mot « June » s’impose en lieu et place de « Shônen Aï », devenant le terme de référence dans les années 80.

Seulement, vous vous doutez bien que nombre de concurrents vont s’intéresser à un phénomène éditorial aussi rentable que celui-ci, et ne sont donc pas ravis de voir le nom d’un magazine en particulier associé au genre lui-même. Il faut donc inventer un nouveau terme en remplacement de June.
Ce sera « Boys Love » et son acronyme BL, apparus au milieu des années 90, qui rempliront cette fonction. C’est à cette même période que le phénomène des manga en général commence à prendre de l’ampleur en Occident, et avec lui les premières tentatives, marginales, de publication de romances homosexuelles. Et là encore, un problème va se poser : si les Japonais comprennent des mots aussi simples que « Boys » et « Love », l’Anglais n’en reste pas moins un langage étranger dont ils ne saisissent pas forcément les nuances ; ainsi, il va se passer la même chose en Occident, que ce qui était arrivé pour le Shônen Aï au Japon : nombre d’anglophones pourront trouver dans cette appellation une connotation pédophile.

Par conséquent, ce sont les mots « Yaoi » et « Shônen Aï » qui s’imposeront eu Europe et en Amérique du Nord. Là encore, nous pouvons penser à l’exotisme de ces appellations comme moteur de leur succès, mais aussi leur absence de signification autre que les définitions que nous voulons bien leur donner, la majorité des lecteurs ne parlant pas Japonais. Ce sont aussi ces définitions malléables qui feront que « Yaoi » finira par s’imposer comme une norme pour les éditeurs et le lectorat, ce qui ne correspond plus forcément à son utilisation dans son pays d’origine. De son côté, le terme « June » étant désormais peu employé au Japon et ne renvoyant à aucune référence culturelle identifiable pour les Occidentaux, il ne sera que très rarement prononcé.
Pour résumer, « Yaoi » s’est imposé chez nous par commodité, de même que « Shônen Aï », sans tenir compte de leur sens d’origine ; en cela, leur cas se rapproche de celui des mots « Shônen » ou « Shôjo », dont notre perception ne correspond pas non plus entièrement à leur définition première. Nous nous les sommes approprié, au point de leur trouver une signification nouvelle en phase avec nos propres besoins.

Source : Homosexualité et Manga : le Yaoi.

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3 commentaires pour Qu’est-ce qu’un Shônen Aï ?

  1. Yomigues dit :

    Excellent article, tu es remonté super loin pour les origines, je ne savais pas tout ça personnellement… Bon article !

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