L’année du grand n’importe quoi éditorial : bilan manga de 2022

Comme l’année précédente, je préfère me concentrer sur le positif et les séries venues égayer 2022. Quid des autres ? Soit je ne les ai pas lues, soit elles ne méritent pas (suffisamment) d’apparaître dans ce billet, soit je m’en suis tout simplement séparé en cours de route.

PS : Par flemme, j’utiliserai les résumés fournis par les éditeurs (mauvaise foi comprise).

Kageki Shôjo!!
L’académie Kôka Kageki, dédiée à la comédie musicale, est sélective, prestigieuse et exigeante. Elle n’admet que des jeunes femmes qu’elle forme à jouer des rôles féminins ou masculins.
Ai Narada, ancienne idol désabusée, intègre cette prestigieuse école et y fait la connaissance de Sarasa Watanabe, adolescente enjouée et surmotivée, qui rêve d’incarner un jour la fameuse Lady Oscar…

Tricher ou ne pas tricher pour commencer ce bilan manga de 2022 ? Je vous avais déjà parlé de Kageki Shôjo!, manga que j’avais particulièrement apprécié. Entre-temps, la mangaka a changé d’éditeur, sa série est passée du Jump X au magazine Melody – devenant un shôjo manga en bonnes et dues formes – et a gagné un ! au passage. Néanmoins, soyons honnête : ces changements ne se ressentent pas à la lecture du manga, et la transition de l’un à l’autre ne se voit pas. Il en allait de même pour Orange, autre titre dont la catégorie éditoriale a été bouleversée en cours de route. Ceci dit, comme il s’est écoulé pas mal de temps entre le tome 0 de Kageki Shôjo! et le tome 1 de Kageki Shôjo!!, cela laisse le temps d’oublier certains détails. Lorsque nous les enchainons, peut-être que la rupture se sent plus nettement ?
Je précise au passage qu’il s’agit d’un reproche risquant de revenir régulièrement dans ce billet : noeve grafx possède déjà un excellent catalogue, mais cela vient en grande partie de sa boulimie de licences, et l’éditeur éprouve de grandes difficultés à assumer par derrière. Comprenez que son calendrier de sorties se retrouve régulièrement chamboulée, avec des tomes repoussés, et au final un rythme excessivement lent pour à peu près toutes les séries que je suis à l’heure actuelle chez eux.
Kageki Shôjo!! confirme avec ce premier/second tome qu’il s’agit d’une série faite pour moi : un shôjo manga en milieu scolaire avec des comédies musicales et plein de références à des classiques du genre, me faisant souvent mourir de rire. Mais cela pose un sérieux problème : je reconnais volontiers avoir des goûts étranges et parfois très pointus, donc je me demande bien combien de personnes trouveront leur compte avec cette série en France. J’espère qu’il y en aura le plus possible, car ce manga positif et entraînant le mérite amplement. Cette lecture fût un véritable rayon de soleil pour moi. Mais nous n’en avons eu qu’un seul tome en 2022, alors que nous sommes bien loin d’avoir rattrapé la publication japonaise… Ce titre mériterait tellement mieux !

Silent Möbius
Dans le futur, l’humanité se retrouve en proie à de dangereuses entités maléfiques. Heureusement, une brigade féminine aux pouvoirs divers est missionnée par le gouvernement pour lutter contre ces créatures néfastes !
En parlant de tricher ! Si cette année 2022 restera dans les annales en termes de manga, c’est qu’elle aura marqué le retour (en grâce ?) de quelques projets maudits sur le marché hexagonal. Il ne s’agit pas là d’œuvres inédites, mais de nouveaux essais pour arriver enfin à une publication intégrale. Cela s’avère encore plus vrai pour Silent Möbius, après deux tentatives avortées – chez Delcourt puis Panini Comics, autant dire que cette série n’aura jamais eu droit à la crème de la crème…
J’entretiens avec cette licence une relation particulière depuis la fin des années 1990. Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à l’animation japonaise, ma première série inédite (en VHS) fût Silent Möbius. Rétrospectivement, il s’agit d’un anime médiocre. Pour quelques moments de grâce et un univers passionnant, il peine à proposer un récit réellement accrocheur. Cela ne me pousse pas à commencer le manga, d’autant plus chez un Panini Comics alors surtout connu pour pratiquer des prix supérieurs à la moyenne, sans que cela soit justifié par la qualité des éditions. Je me laisserai seulement tenté par Möbius Klein, dans la mesure où ce tome à part reprend un de mes passages favoris de la série TV. Plus tard, je découvrirai les deux films d’animation, plus anciens, et qui me laisseront une bien meilleure impression, et me pousseront à redonner une chance à l’œuvre phare de Kia Asamiya.
Encore fallait-il que le titre soit de nouveau proposé en France, ce que nous devons à Black Box. Un choix éditorial cohérent avec ses habitudes nécromanciennes. Vous vous en doutez puisque vous voyez le titre dans cette liste : j’ai adoré.
Le manga diffère grandement de la série TV. Plus ancien (il devance son adaptation télévisuelle d’une dizaine d’années), nous sentons bien l’influence de la fin des années 1980, avec un brin de folie et d’humour salutaire, et quelques très légères touches plus grivoises. Le manga se distingue aussi dans sa construction, puisqu’il développe son histoire de fond en présentant chacune de ses protagonistes féminines lors d’un arc dédié ; un schéma plus difficile à rendre en dehors de son support d’origine. L’univers reste un point fort du titre, avec son mélange de cyberpunk et d’ésotérisme, dans une Tokyo futuriste où la météo annonce le taux d’acidité des pluies.
Black Box proposera la série par lots de quatre ou cinq volumes, ce qui offre une grosse dose de lecture à chaque fois. Toutefois, je ne m’explique pas leur décision d’inclure dans la première livraison Möbius Klein, révélant des éléments clés de l’intrigue qui n’ont pas encore été évoqués dans la série principale. Je déconseille de le lire si vous n’êtes pas déjà au fait des événements plus tardifs, notamment concernant l’origine des antagonistes.
J’ai abordé cette réédition avec curiosité tout en attendant un titre aux ambitions et aux qualités modestes, mais pour l’instant, cette version papier surclasse allègrement ses adaptations animées. Je n’espérais pas prendre autant de plaisir. Pourvu que ça dure.

Mon petit ami genderless
Wako travaille au sein d’une maison d’édition. Meguru est un homme genderless, star des réseaux sociaux. Tous les deux sont amoureux, mais leur quotidien ne ressemble pas à celui d’un couple conventionnel : entre elle qui enchaîne les heures supplémentaires au travail et lui dont le principal intérêt est de se rendre mignon pour la femme qu’il aime, ils déstabilisent souvent leur entourage… Mais ensemble, ils sont heureux… et c’est bien ça, l’essentiel !
Un titre déjà abordé dans le bilan 2020 suite à la publication aux Etats-Unis de la série, je vous laisserai donc vous y référer. Cela a été un plaisir de me replonger dans le quotidien de Wako et Meguru dans le cadre de cette publication française.

Karakuri Circus
Dans la lointaine Bretagne du Moyen-Âge étaient deux frères alchimistes, tous deux éperdument amoureux d´une ravissante jeune fille. Le premier fut aimé en retour, mais le second, ainsi délaissé, tua de colère les deux amants. Devenu fou de douleur, il se plongea alors dans ses travaux, et inventa l´Aquae Vitae, une eau qui donnerait vie à de simples pantins mécaniques…
Tokyo, de nos jours. Narumi, déguisé en ours géant, tente de faire rire les passants. Atteint d’une grave maladie, il doit son salut aux rires des enfants. Soudain, il suspend son spectacle lorsque le seul spectateur qui souriait de ses pitreries, un petit garçon traînant une énorme valise, se fait enlever sous ses yeux. Narumi se précipite et l´arrache aux bras de ses ravisseurs. Masaru révèle alors à son sauveur qu´il est l´héritier d´une très grande société japonaise, spécialiste des mécaniques de précisions, et que sa fortune attire bien des convoitises. Narumi et Masaru fuient pour échapper aux ravisseurs et se réfugient dans un cirque où ils se découvrent une ravissante protectrice funambule, Shirogané, manipulatrice de pantins géants de combat. Masaru apprend alors que c’est son grand-père qui a créé ses créatures étranges…

Lorsque Delcourt a publié cette série, je me souviens avoir identifié son existence, j’ai vu des personnes en parler, et surtout, se plaindre de l’arrêt inopiné imposé par l’éditeur français. Karakuri Circus restait pour moi synonyme d’un échec tel que nous ne reverrions plus jamais ce titre en France, ni même son auteur. Mais les temps changent. Depuis, j’ai découvert Kazuhirô Fujita grâce au travail de Kaze Manga et Ki-oon, un trait percutant couplé à des shônen manga sortant des sentiers battus (par rapport au Shônen Jump). Apprenant à apprécier l’artiste, je n’aurais pas pour autant pensé revoir Karakuri Circus en France, d’autant plus que ses œuvres postérieures ont la réputation de ne pas avoir très bien fonctionné sur le territoire hexagonal. Autant dire que 2022 aura été l’année de tous les possibles. Cette réédition s’avère d’autant plus improbable qu’elle est accompagnée par une édition sublime de la part de Meian.
Je comprends désormais mieux les raisons de l’échec de ce manga lors de sa première tentative. Outre sa longueur, l’imprévisibilité du mangaka joue contre lui, dans un pays où le public découvre son style avec cette série, et n’est pas encore disposé à lui faire confiance. Moi-même, il est probable que je ne serais pas allé très loin à l’époque. L’introduction dure ainsi plusieurs tomes, avant de scinder l’histoire en deux récits parallèles : « Circus », sur le quotidien d’une troupe de cirque, et « Karakuri », sur le combat contre des automates doués de raison disséminant un virus épouvantable à travers le monde. Le mélange est forcément déstabilisant, malgré les qualités manifestes de l’œuvre, maniant à la fois l’humour – Fujita reste un maître des personnages aux mimiques hors-normes – l’action mélangeant les arts martiaux et les combats par pantins interposés, et des drames humains impliquant notamment des enfants contaminés. Et il reste encore de très nombreux volumes à venir. Impossible de savoir vers quels horizons l’auteur va nous emmener, mais je suis prêt à le suivre, car je dévore chaque nouveau tome – aussi étrange soit-il – en un temps record.

Phénix, l’Oiseau de Feu
Le Phénix… Un oiseau mythique qui renaît de ses cendres. Les légendes affirment que ceux qui réussiront à boire ne serait-ce qu’une seule goutte de son sang obtiendront la vie éternelle. Au travers de onze volumes, Osamu Tezuka nous convie à une incroyable fresque humaine, où passé, présent et futur se mélangent et s’entrecroisent. Chaque volume peut être lu seul car l’auteur n’y a imposé aucune chronologie. Seul le fil conducteur des hommes à travers les âges, recherchant le phénix obstinément, pour des raisons parfois très diverses…
Encore une réédition, et cette fois, d’une œuvre qui avait déjà été publiée dans son intégralité en France (par feu Tonkam). Seulement, il s’agit d’un événement suffisamment important pour mériter d’être évoqué ici.
Lorsque j’ai commencé à lire Osamu Tezuka, j’aurais pu tomber sur Phénix, l’Oiseau de Feu. Cela ne s’était pas produit, plus par hasard qu’autre chose. Le temps que je me décide enfin à me lancer dans cette aventure, les aléas des ruptures de stock m’ont découragé. Quant à cette réédition, longtemps annoncée, souvent repoussée, elle ne nous arrive qu’en 2022, me donnant enfin l’occasion de me plonger dedans. Entre temps, j’ai aussi l’occasion de voir l’adaptation en film d’animation datant du début des années 1980.
Phénix, l’Oiseau de Feu compte parmi les œuvres du Maître souvent citées comme étant les meilleures de la carrière de l’artiste. Après lecture du premier tome – s’agissant de pavés, j’ai plus de mal à entamer le second volume – cette réputation me paraît amplement méritée. A travers la figure de cet oiseau mythique, Osamu Tezuka se livre à son travail habituel sur l’Homme, ses ambitions, ses doutes, ses gloires, et ses chutes, permettant d’y retrouver les qualités ressortant de ses travaux datant des dernières décennies de sa vie. La particularité du titre reposant ici sur le cycle de réincarnation de ses personnages, et des récits alternant passé et futur, pour se rapprocher petit à petit de notre monde contemporain. Nul doute que Phénix, l’Oiseau de Feu comptera rapidement parmi mes séries préférées du mangaka, car j’y trouve tout ce que j’apprécie dans son travail.

Make up with mud
Alors qu’elle vient d’avoir vingt-cinq ans, Miku décide de porter plus d’attention à son maquillage… Mais lorsqu’il voit ses lèvres enduites d’un baume rouge écarlate, Haru, avec qui elle sort depuis six ans, la décourage tout de suite, en lui expliquant que les couleurs criardes ne sont pas faites pour elle…
Le même jour, Miku est sauvée d’un client un peu trop tactile par une belle jeune femme… qui se révèle être un homme !
Celui-ci l’incite à se maquiller selon ses envies, et non pour répondre aux attentes des autres…
Ce qui n’est pas du tout du goût de son compagnon…

Vous trouverez dans ce bilan des titres dont j’attendais la sortie et qui ne m’ont pas déçu, ainsi que des titres que la sortie est inespérée mais dont je savais qu’ils ne me décevraient pas. Et puis, il y a Make up with mud. Un manga venu de nulle part, chez un éditeur pas du tout connu pour faire dans le shôjo manga, et qui s’est avéré être une bonne surprise. J’aurais pourtant pu passer à côté.
Ceci n’est pas un manga sur le maquillage. Il ne donne aucun conseil pratique à ce sujet. Il s’agit plus d’une série sur le bien-être, la confiance en soi, et l’affirmation de ses choix personnels.
Deux voies s’offrent à Miku : d’un côté Haru, son petit ami, jeune avocat plein d’avenir mais s’attendant à ce qu’elle abandonne son emploi pour se consacrer au foyer ; de l’autre Yves, plus jeune, plus extravagant, mais aussi bien plus libre et conscient que Miku a besoin de s’exprimer librement.
Ce que je regrette, c’est que le choix proposé à Miku n’est en réalité qu’illusoire. La mangaka nous indique dès le début quel est le bon. Car si Haru est synonyme de stabilité, elle le dépeint comme un psychopathe cherchant avant tout à contrôler Miku et à avoir quelqu’un sous les ordres pour subvenir à ses moindres besoins. Et ce n’est pas du tout subtil : réactions extrêmes, sourire pervers, et mise-en-page digne d’une série horrifique, tout est fait pour mettre en scène Haru comme un monstre dont Miku doit absolument se détacher si elle veut espérer être elle-même. Ce qu’elle réussit d’ailleurs parfaitement : Haru s’impose comme le personnage le plus haïssable que j’ai pu voir dans un manga en 2022 !
Je ne doute pas que les « Haru » existent, mais peu d’entre eux doivent le montrer aussi clairement en arborant un sourire à mi-chemin entre celui du Joker et celui de Mr Burns. Bref, ils sont sans doute plus difficile à identifier.
Ce manque de subtilité est ce qui m’a laissé avec un sentiment mitigé quant au premier volume, alors que la lecture elle-même ne m’a pas déplu. C’est simplement frustrant de voir Haru se comporter comme la dernière des crevures, et souhaiter de tout son cœur que Miku s’enfuit à toute vitesse. Heureusement, le second volume vient faire évoluer leur relation de manière radicale.
Miku est une héroïne qui se cherche, émotionnellement dépendante de son petit ami et ne cherchant surtout pas à faire quoi que ce soit qui pourrait lui déplaire. Elle n’est pas pour autant attirée par Yves (l’inverse n’est clairement pas vrai), mais celui-ci lui permet d’entrapercevoir un autre monde de nouvelles possibilités. Son cheminement intellectuel est plaisant à suivre, et Yves et sa patronne sont des personnages suffisamment hors-normes pour donner lieu à des scènes réjouissantes et de bons moments de comédie malgré le contexte pesant. Il s’agit tout-de-même d’une série sur une relation toxique, comment l’identifier et comment s’en sortir. Le message est important et positif, et comme Make up with mud s’avère aussi très plaisant à lire (malgré Haru), cela en fait une des découvertes les plus mémorables de l’année.

The Five Star Stories
Dans l’amas stellaire de Joker, en l’an 2988 du calendrier stellaire, les grandes puissances jonglent entre paix fragile et guerre ouverte à l’aide de leurs armes ultimes, les Mortar Headd.
Robots gigantesques et merveilles technologiques,
leur contrôle dépasse l’entendement humain et nécessite l’aide de créatures biologiques artificelles, les Fatima. Alors que le plus grand concepteur de Fatima s’apprête à présenter ses dernières créations, la haute société de l’amas stellaire se presse…
et les intrigues vont bon train.
Amaterasu, Lachesis, Co-Lus, le MH Knight of Gold… quelques noms qui résonnent parmi des centaines de milliers d’années d’épopée et autant de héros et héroïnes. Voici leurs histoires.

J’imagine que nombre de lectrices et lecteurs de manga ont une petite liste dans leur tête, de titres qu’ils aimeraient voir publier en France. Dans la mienne, The Five Star Stories se trouvait placé très haut. Car j’adore les robots géants – Mamoru Nagano a d’ailleurs travaillé comme mecha designer pour l’animation – car la série jouit d’une excellente réputation, et car son adaptation en film d’animation – reprenant le premier tome du manga – laissait entrevoir un univers vaste et foisonnant. Néanmoins, ce titre appartient à un genre peu en vogue en France, et le mangaka n’a publié que 16 volumes en presque 40 ans – laissant douter qu’il en arrivera un jour au bout – deux excellentes raisons pour lesquelles il était très improbable de le voir débarquer en France. Jusqu’à l’an de grâce 2022, chez un éditeur sans doute inconscient – donc même pour arriver au tome 16, ce n’est pas encore gagné.
Ne faisons pas planer le suspense plus longtemps : c’est mon manga de l’année. Rien que ça.
Déjà : car Mamoru Nagano est un Dieu du dessin. Qu’il s’agisse de ses mechas ou de ses personnages, ils sont tous absolument sublimes, tout en sortant des standards habituels. Les premiers sont massifs et détaillés, les seconds semblent échappés de shôjo manga des années 1970. Dans un cas comme dans l’autre, cela me parle énormément.
Ensuite, car le mangaka nous propose un monde passionnant, fait de royaumes spatiaux millénaires en proie avec des confédérations tout aussi imposantes et redoutables, avec une esthétique alliant antiquité décadente et technologie de pointe. La diversité des environnements et des nations signifie que tout est permis, ce qui fonctionne à merveille dans le cadre de son manga. Pour autant, il n’oublie pas de nous raconter une histoire à hauteur d’humains, en particulier à travers le lien unique unissant les pilotes à leur fatima.
16 tomes ne seront pas suffisamment pour pleinement exploiter tout le potentiel d’un tel univers, mais ils devraient permettre de passer en revue un large éventail de possibilités. Je sens que cela va être grandiose.

Chroniques des 7 Cités
En 2088, l’axe de la Terre bascule de 90°, causant des catastrophes en chaîne qui laissent l’humanité au bord de l’extinction, la poignée de survivants réfugiée sur une colonie lunaire. Trois ans plus tard, certains reviennent peupler la Terre et y bâtissent sept cités, à des endroits stratégiques. Mais entre dispute des ressources, auto-défense et luttes de pouvoir, ce n’est pas vraiment l’unité qui règne sur le nouveau monde…
Chaque gouvernement rivalise alors de stratégies militaires et d’intrigues politiques pour que sa cité tire son épingle de ce jeu dangereux.

Quand Yoshiki Tanaka (La Légende des Héros de la Galaxie, Les Chroniques d’Arslan) s’allie à Kotteri (Veil), forcément, cela donne très envie. Le romancier signe une nouvelle fois un récit sur des conflits géopolitiques, vécus aux côtés des personnes impliquées dans les diverses forces en présence, mais plaçant cette fois l’action sur une Terre futuriste où seules quelques cités demeurent – d’où le titre. Pour qui connaît déjà le travail de l’auteur, difficile de ne pas retrouver des éléments faisant écho à ses précédents travaux : des génies préférant largement leur tranquillité aux batailles – mais dont la seule présence suffit à en changer l’issue – des fanatiques de tout poil, et des stratégies militaires qui n’ont pas tellement évolué depuis L’Art de la Guerre. A tel point que certaines des contraintes imposées par le scénariste à son monde – interdisant en particulier les combats aériens – ressemblent surtout à des facilités pour s’en tenir aux stratégies en question. Néanmoins, nous retrouvons aussi ses qualités habituelles : une galerie de personnages mémorables – par leur intelligence, leur bravoure, ou leur charisme – et des conflits militaires bien pensés.
Contrairement à Hiromu Arakawa, qui s’approprie Les Chroniques d’Arslan pour imposer son style propre, Kotteri semble plus là pour servir l’histoire grâce à son dessin très soigné. Cela fait plaisir de la découvrir dans le cadre d’une série plus portée sur l’action, loin du contemplatif Veil. Mais ensemble, les deux artistes nous proposent un récit riche, plaisant à parcourir. Par contre, cinq tomes pour traiter un tel univers, cela semble un peu juste… Rassurons-nous en nous disant que Noeve Grafx, avec son rythme de publication ralenti, saura faire durer le plaisir pendant très longtemps.

Baki the Grappler
Sorti de nulle part, un mystérieux adolescent élimine un à un tous les meilleurs combattants d’un grand tournoi de karaté… Mais parviendra-t-il à remporter la finale ?
Son nom est Baki Hanma et il commence tout juste à écrire sa légende !!
Le mastodonte du manga de baston !!
Le cœur sur la main et la victoire au bout des poings !!
La quête d’un fils pour laver les péchés de son père !

Petite précision d’usage : ce que nous appelons en France Baki englobe plusieurs séries séparées. Celle publiée jadis par Delcourt correspond à la seconde. J’ignore si l’éditeur s’est alors exprimé quant à ce choix surprenant. Toujours est-il que, pour connaître les bases, il fallait se tourner vers l’adaptation animée (plus ancienne que celle de Netflix). Car Baki n’est pas pour autant un titre où chaque saison relancerait une nouvelle histoire, comme JoJo’s Bizarre Adventure : il s’agit bien de suites directes. En commençant le manga à l’époque de publication chez Delcourt, nous découvrions Baki, Doppo, Jack, Retsu et plein d’autres personnages dont nous sentions qu’ils avaient déjà vécu des aventures, et qui y faisaient référence, mais jamais introduits proprement. Je peux comprendre que cela a surpris le public de l’époque.
Tout cela pour dire que le Baki The Grappler de Meian n’est pas une réédition de la série Delcourt, mais la première publication française de la série d’origine. Le format large est trompeur, car habituellement réservé à des rééditions en France. Il s’avère pourtant nécessaire, non pas pour mieux profiter des planches en augmentant leur taille, mais pour réduire la longueur de la série. 42 tomes simples, c’est une prise de risque. Cette version bouclera l’aventure en 24 tomes, proposés par groupes de quatre comme l’éditeur le fait régulièrement. Sachant que cette première série conclue son arc narratif, même si forcément, elle ne règle pas l’enjeu principal.
Pour qui a vu l’anime, pas de (grosses) surprises, même si l’adaptation faisait l’impasse sur certains détails. Baki est un lycéen adepte des arts martiaux, ce qui pourrait être sain et formateur s’il ne participait pas en réalité à des combats clandestins contre des maîtres de différents styles. Nous apprendrons plus tard que cette soif de combats est liée à son père, considéré comme l’être le plus fort du monde, et qu’il n’existe que pour le défier et le vaincre.
Les quatre premiers tomes (seuls disponibles au moment où j’écris) introduisent quelques personnages emblématiques de la série, pour certains très charismatiques et aux styles variés. Le mangaka a le chic pour créer des personnalités mémorables, même si trop souvent au physique irréaliste et monstrueux (qui pourra rebuter une partie du lectorat), et capables de prouesses non moins surréalistes alors que rien n’indique (à ce stade) que le titre se déroule dans un autre univers que le notre. Graphiquement, ça peut choquer.
J’éviterai d’en dévoiler plus sur les protagonistes, et me contenterai d’un mot : baston.
En gros, si vous aimez les shônen manga de gros muscles et de baston (avec des mecs en slip), genre Tough ou Kengan Ashura, Baki The Grappler est indispensable. La base quand il s’agit de confronter des styles et des écoles de combat que tout oppose, dans des combats sans règles où les blessures graves ne manquent pas. En outre, il s’agit de la porte d’entrée de cet univers, là où la série Delcourt prenait le train en marche, pas le meilleur moyen pour fidéliser son audience. Je l’avais aussi trouvé un peu trop chiche en matière de tournoi, mon péché mignon, alors que – connaissant l’anime – je sais que Baki The Grappler va nous proposer un tournoi mémorable.

Frieren
Le jeune héros Himmel et ses compagnons, l’elfe Frieren, le nain Eisen et le prêtre Heiter, rentrent victorieux de leur combat contre le roi des démons. Au bout de dix années d’efforts, ils ont ramené la paix dans le royaume. Il est temps pour eux de retrouver une vie normale… Difficile à imaginer après tant d’aventures en commun !
Frieren, elle, ne semble guère touchée par la séparation. Pour la magicienne à la longévité exceptionnelle, une décennie ne pèse pas lourd. Elle reprend la route en solo et promet de retrouver ses camarades un demi-siècle plus tard. Elle tient parole… mais ces retrouvailles sont aussi les derniers instants passés avec Himmel, devenu un vieillard qui s’éteint paisiblement sous ses yeux. Frieren est sous le choc… La vie des humains est si courte ! L’elfe a beau être experte en magie, il lui reste encore un long chemin à parcourir pour comprendre la race humaine… Son nouvel objectif : s’initier aux arcanes du cœur !

Frieren promet dans un premier temps de suivre les aventures d’une elfe, dont le rapport particulier au temps – elle est presque immortelle – entre en contradiction avec celui des humains avec lesquels elle se lie, menant à d’inévitables séparations. Une promesse qui ne sera finalement tenue que le temps d’un premier tome durant lequel plusieurs décennies s’écoulent. Depuis, la série se déroule plus lentement, même si cette promesse de départ permet de justifier quelques ellipses, et offre à l’occasion quelques idées amusantes. Autre promesse, celle d’un récit fantastique plutôt relaxant, avec cette question : que reste-t-il à faire lorsque le monde a déjà été sauvé ? Mais là encore, les mangaka dévient de cette idée de départ, les derniers tomes en date proposant combats contre des démons et examens de passage.
Toutefois, cette évolution de la série pose-t-elle problème ? Pas vraiment, tant que l’histoire reste plaisante à suivre, tantôt pour son rythme lent non dénué d’humour, tantôt pour son action. Même si ces deux aspects peuvent sembler contradictoire. Frieren est une héroïne atypique (même si nous trouverons quelques cas similaires dans des isekai), d’une puissance phénoménale mais tout en retenu (la plupart du temps), et avec une personnalité bien à elle. Ses compagnons d’arme, en particulier Fern, possèdent aussi un indéniable capital sympathie. Le trait est détaillé, agréable à l’œil, avec des personnages aux styles divers permettant de les distinguer aisément les uns des autres. Le premier tome annonce une série bien moins consensuelle qu’elle ne l’est en réalité, mais l’ensemble se laisse suivre avec grand plaisir.

Utsubora
Mizorogi est auteur et s’il y avait bien une chose à laquelle il ne s’attendait pas, c’était de recevoir un appel de la police lui demandant de venir identifier un corps. Il s’agit d’Aki, une mystérieuse jeune femme qui se serait suicidée. Mais alors qu’il se rend à la morgue, il croise la route de Sakura, qui prétend être la sœur jumelle de la défunte. Tandis que des enquêteurs tentent de comprendre quel lien unissait l’écrivain à la victime, Mizorogi essaie de relancer sa carrière en publiant un nouveau roman…
Je vais sans doute avoir plus de mal à aborder Utsubora, par rapport à d’autres séries traitées ici. Elle ne dure que deux volumes, nous en avons eu un en 2022, et celui-ci pose bien plus de questions qu’il n’y répond. Même si je n’exclus pas que l’autrice cherche avant tout à créer une ambiance pesante, je suppose que nous aurons droit à quelques explications par la suite.
Deux éléments m’ont poussé à lire ce manga : sa publication dans feu le Manga Erotics F, et qu’il soit écrit par Asumiko Nakamura. Nous la connaissons plus pour ses BL, mais j’avais déjà eu l’occasion de la découvrir en dehors de ce domaine bien particulier avec l’édition américaine de Maiden Railways, qui m’avait enthousiasmé.
Utsubora aborde des sujets sensibles, comme le suicide ou les relations toxiques, impliquant ici un homme de pouvoir – car connu et respecté dans son milieu, celui de la littérature japonaise – prêt à tout pour un nouveau succès critique et commercial. L’apparition d’un véritable clone – se présentant comme sa jumelle – d’une jeune fille décédée vient créer un jeu de dupes aussi étrange que dangereux. Le trait magnifique de Nakamura vient compléter le tableau, en faisant une lecture mémorable. Je me demande comment tout cela va finir.

Sans Complexe ?
Tsubomi vient de finir le lycée, mais contrairement à la plupart de ses camarades, pour elle, les études s’achèvent ici ! Sans passer par la case université, elle commence à travailler à temps partiel dans un vidéoclub de quartier… tout en squattant chez ses parents. Sans avenir, sans rêve, elle prend le quotidien comme il vient, tandis que sa cousine, de son côté, débute une carrière dans l’entertainment. En comparaison, Tsubomi se trouve bien ordinaire. Mais quand, au travail, elle rencontre Shiro et Nasukawa, le propriétaire d’un petit restaurant, la jeune femme complexée décide de se prendre en main. Cependant, la route est longue pour s’accepter…
Akata signe le grand retour de Ryo Ikuemi en France, ce qui fait extrêmement plaisir. Il ne s’agit pas de son meilleur titre disponible en langue française – à moins d’exclure ceux en arrêt de commercialisation – mais bon, nous parlons de Ryo Ikuemi, donc cela reste un très bon manga.
J’ai eu l’impression que son éditeur le vendait avant tout comme une histoire de grossophobie, ce qui me paraît déplacé (et risque même de rebuter une partie du public). Il serait pourtant plus juste de le présenter comme le quotidien d’une jeune adulte, récemment sortie du lycée sans rêves pour l’avenir (et ne faisant pas d’étude), alors qu’elle découvre le monde du travail, et peut-être celui des sentiments amoureux. La série évoque notamment le rapport compliqué de l’héroïne à son propre corps, dans une société où la minceur est une norme ; d’autant plus dans son cas, avec une cousine mannequin professionnel. Néanmoins, il ne s’agit là que d’un élément parmi d’autres de ce manga.
Le manga traite ainsi d’une période de la vie et d’une situation finalement peu représentées parmi les titres proposés en langue française. Une période difficile pour l’héroïne, entre manque criant de confiance en elle et premiers émois amoureux, que la mangaka nous décrie sans essayer de juger ses décisions. Il ne s’agit pas forcément d’un titre touchant, mais il s’avère aisé de se reconnaître dans ces personnages d’adultes plus ou moins pommés, et essayant de s’en sortir le mieux possible dans leur quotidien.

Dreamin Sun
Depuis le remariage de son père, Shimana ne se sent plus à sa place au sein de son foyer. Alors un jour, elle décide de fuguer… C’est au sein d’une colocation avec trois beaux jeunes hommes qu’elle trouvera refuge. Mais pour habiter dans cette demeure, il y a une condition : il est impératif d’avoir un rêve et de se donner les moyens de le réaliser. Hélas, Shimana, toujours endeuillée et perdue, ne sait pas ce qu’elle veut faire de sa vie…
Avant que Akata annonce cette réédition, j’ignorais même qu’il y en avait eu une édition… Il faut dire que Delcourt a publié tellement de shôjo manga – dont des comédies romantiques lycéennes – à une époque, qu’il m’arrive encore d’être surpris par l’existence de telle ou telle série lorsque je me balade dans des magasins de livres d’occasion…
Dreamin Sun appartient à une catégorie dont je suis friand : les shôjo manga comédies romantiques lycéennes. Et là où elle peut sembler sur-représentée en France, j’avoue avoir du mal à réellement trouver mon bonheur ces derniers temps. Depuis My Fair Honey Boy, je dirai même que j’étais en manque de titre répondant réellement à mes attentes ; à savoir des séries avec des personnages légèrement allumés – suffisamment pour être marquants – et positifs, ce qu’il faut d’humour, et arrivant malgré tout à être attendrissant. Les dernières que j’ai pu tester, notamment du côté de Kana, m’ont paru un peu molles…
Pour l’instant, je n’ai lu qu’un seul tome, mais Dreamin Sun a parfaitement répondu à mes attentes. Sans compter que le trait de la mangaka reste toujours aussi plaisant. J’ai donc de bons espoirs quant à la suite.

Les Promeneuses de l’Apocalypse
Elles visitent les endroits les plus célèbres du Japon avec leur moto tout terrain. Admirer le mont Fuji depuis Hakone, pêcher sur le pont de la baie de Yokohama, sans oublier d’aller au Tokyo Big Sight. Voilà le voyage qui attend nos deux jeunes filles à moto. Hélas, le monde s’est effondré…
Après Girls’ Last Tour et son duo parcourant un monde en train de mourir, changement d’ambiance avec le plus lumineux Les Promeneuses de l’Apocalypse. Une luminosité venant en grande partie d’un dessin clair et d’un design plutôt mignon pour les deux protagonistes féminines, qui ici ont tronqué les tenues militaires pour des vêtements plus passe-partout. La comparaison entre les deux séries est évidente de par leur duo féminin se baladant dans un monde en ruines, mais pour être honnête, elle s’arrête ici. L’un nous montre un monde futuriste dont nous n’avons pas la moindre idée de comment il a pu en arriver là, tandis que l’autre nous propose de l’urbex dans un Japon figé pour l’éternité, à peine plus avancé que celui que nous connaissons. Autre différence : là où Girls’ Last Tour n’a aucune réponse à apporter, nous sentons que Les Promeneuses de l’Apocalypse a beaucoup à nous révéler. Que s’est-il passé ? Comment ces deux filles ont-elles pu survivre ? Reste-t-il des habitants ? Autant de questions auxquelles le mangaka semble décidé à répondre.
Pour l’instant, ce manga possède de faux airs d’Au grand air, avec deux filles qui paraissent ne pas avoir d’autre but que de profiter du voyage, sans être trop dérangées par les touristes… Mais nul doute que cette insouciance cache quelque chose de plus profond, et que tout ne se passera pas aussi bien qu’elles l’espèrent. En attendant que l’ensemble prenne une tournure plus dramatique – virage déjà amorcé dans le second tome – il ne nous reste plus qu’à profiter du voyage avec elles, et de ces charmantes vues d’un Japon dépeuplé. Comme quoi, pour passer un bon moment, il suffit d’exterminer la population.

La Grande Traversée
Mitsuya Majime travaille au service commercial de la maison d’édition Genbu shobô. Son sens aigu du mot juste lui permet de rejoindre l’équipe du service des dictionnaires. Il va devoir, avec ses nouveaux collègues de travail, qui partagent le même amour que lui pour les mots, se plonger corps et âme dans la fabrication d’un nouveau dictionnaire : La Grande Traversée… Entouré de collaborateurs tout aussi acharnés que lui à trouver le mot juste, il se lance corps et âme dans ce chantier qui va, pendant plusieurs années, profondément changer sa vie…
Pour être transparent, il s’agit du dernier titre sur lequel j’ai écrit dans le cadre de ce billet, faute de trop savoir l’aborder. Pourtant, il faut bien que j’en parle ! Pensez donc : il s’agit d’un de mes coups de coeur de l’année.
Le Lézard Noir continue son exploration des grandes signatures féminines avec La Grande Traversée, adaptation de roman ; par forcément un excercice de style dont je suis friand, sauf quand confié à un ou une artiste de talent. Cela tombe bien, car c’est Haruko Kumota qui s’y colle. Nous ne pouvons pas reprocher à l’éditeur de ne pas être fidèle à ses autrices, puisqu’il publie aussi l’excellent Le Rakugo à la vie à la mort de la mangaka.
La Grande Traversée parle de l’élaboration d’un dictionnaire, sujet incongru s’il en est. Sujet qui permettra tout autant de développer une galerie de personnages impliquées dans ce projet – avec plus ou moins de conviction – que leur amour pour les mots. Ne pouvant intégrer tous ceux existants dans leur ouvrage, il s’agira pour eux de les choisir avec soin, puis de concocter des définitions les plus précises possibles. Un travail d’orfèvre qui sera aussi celui d’une vie.
Au-delà de l’amour des mots, nous retrouvons aussi celui de la mangaka pour les vieux beaux. Elle adore les hommes d’âge mûr, rappelant Natsume Ono et Jiji dans Princess Jellyfish. Plus important, elle arrive à donner vie à ce microcosme uni par la conception de leur dictionnaire, créant des liens solides et donnant lieu à des moments aussi émouvants que ce que nous pouvons trouver dans Le Rakugo à la vie à la mort. Tout son talent condensé en un volume, dont elle n’est pourtant pas la scénariste d’origine. Un tour de force en faisant un des immanquables de ce cru 2022.

Ranking of Kings
Le royaume de Boss est en péril. Son fondateur, connu pour sa force herculéenne, est gravement malade, et l’héritier, le jeune prince Bojji, est loin d’avoir le profil pour prendre sa place… Sourd et muet, d’une faiblesse telle qu’il est incapable de manier l’épée, il est la cible de toutes les moqueries, du chevalier au paysan ! S’il accède au trône, le pays est promis à la déchéance dans le classement des rois, dont le principal critère est la puissance des souverains. De ce point de vue, c’est le prince cadet, Daida, qui remporte le soutien populaire…
L’objet visuel non identifié de l’année. Mais un objet précédé d’un anime à succès et d’une réputation flatteuse, donc là où un tel titre aurait habituellement un très gros risque, Ki-oon avait quelques atouts de sa manche. Il n’en demeure pas moins qu’un titre comme Ranking of Kings représente toujours un risque par rapport à des séries plus conventionnelles. En effet, nous suivons ici les aventures d’un petit prince sourd et muet, avec un dessin atypique au regard de la production actuelle, puisque rappelant des dessin-animés des années 1930 ou encore celui d’Osamu Tezuka dans ses premières années de mangaka professionnel. En outre, l’auteur débute sa nouvelle carrière de dessinateur, et son trait reste encore très malhabile dans ses premiers tomes. D’où l’intérêt pour Ki-oon de nous en proposer cinq en 2022, permettant d’assister à l’évolution à la fois de l’histoire et du coup de crayon du mangaka.
Ce qui permet de gagner l’adhésion dès le début, ce sont en grande partie les promesses de son univers, inspiré des contes européens, où les souverains des différents royaumes sont classés selon des critères que nous allons découvrir au fur et à mesure. Un début plein de promesses, mais auquel il ne faut pas trop se fier. Car malgré une somme déjà conséquente de chapitres publiés en Français, cet aspect de l’histoire reste pour l’instant secondaire. Jusqu’à présent, la grande force de Ranking of Kings tient avant tout à ses personnages. Et eux non plus, mieux vaut ne pas s’y fier. Le style graphique du mangaka lui permet de donner un chacun un aspect unique et immédiatement identifiable, mais aussi de jouer avec nos attentes. Au premier coup d’œil, nous pourrions penser tout savoir sur chacun d’eux. Pourtant, ils arriveront tous à nous surprendre. Le meilleur exemple restant certainement Hilling : dans un premier temps dépeinte comme l’archétype de la méchante belle-mère prête à tout pour favoriser son fils Daida au détriment de Boji, l’aîné de la fratrie – et légitime héritier du trône – elle va dévoiler une personnalité certes retorse, mais profondément attachée à ses enfants. Quant à Boji… mieux vaut vous laisser la surprise.
Il s’agit d’une œuvre singulière dans sa forme, ce qui la rend d’autant plus mémorable. Avec un dessin plus en phase avec les standards actuels, cela n’aurait pas fonctionné aussi bien. Dans le fond, cela peut ressembler de prime abord à une quête dans un univers médiéval fantastique, mais celle-ci réserve suffisamment de surprises, en jouant avec nos attentes, pour donner envie de continuer à suivre les aventures du prince Boji.

17 – 26
Deux pour le prix d’un ! Soyons honnête, le travail de Tatsuki Fujimoto ne m’avait jamais vraiment attiré avant cette année. La perspective d’un homme-tronçonneuse ne me vendait pas du rêve, de même que les louanges chantées par ses plus puissants laudateurs. Depuis, j’ai découvert son œuvre, à travers l’exposition consacrée à l’artiste à Angoulême. En particulier, des illustrations tirées de sa jeunesse ont attisé ma curiosité. Et comme l’ex-Kaze Manga a trouvé avec Fujimoto sa nouvelle poule aux œufs d’or, la parution française de ces deux anthologies – regroupant des histoires écrites entre ses 17 et ses 26 ans – ne pouvait pas tarder. Nous y aurons effectivement droit en 2022.
Tout ce qui rendra les séries du mangaka fascinantes se trouve déjà dans ces deux anthologies : un mal-être constant, un quotidien pouvant dérailler à tout moment, et une obsession pour la déchéance des corps et leur transformation. Pourtant, tout cela n’empêche pas ses histoires d’être poétiques et ensorcelantes, et de raisonner étrangement en moi. Il n’y a que lui pour réussir à créer de tels amalgames, et cela fonctionne à la perfection, même si je souffre toujours d’une légère appréhension avant de me lancer dans un de ses récits. Ce qui explique que, sorti la même année, je n’ai pas encore lu Look Back.
Même s’il ne s’agit pas de ses manga les plus aboutis, ceux réunis dans ces deux anthologies constituent à mon sens une bonne porte d’entrée dans un univers, pour découvrir la diversité de son travail. Là où Chainsaw Man, plus long, s’avérera sans doute aussi plus clivant.

The One
Même si Teng Lele est la fille d’une mannequin célèbre, elle n’a pas vocation à entrer dans le milieu de la mode, jusqu’au jour où elle voit, dans un magazine, le mannequin numéro un dans le monde : Angus Lanson. Dès lors, elle comprend que le mannequinat est une forme d’art, ce qui fait naître en elle la vocation d’en devenir un, elle aussi ! Mais lors de sa première audition, elle subit une grande désillusion…
Parler ou ne pas parler de The One ? Oui, je sais, j’ai déjà fait cette blague… Je ne suis pas partisan pour utiliser le mot « manga » pour des BD produites en dehors du Japon, et donc d’en parler un article dédié spécifiquement aux manga. Mais si je ne le fais pas ici, je n’aurai peut-être pas l’occasion d’évoquer une de mes bonnes surprises de l’année 2022 : The One, de Nicky Lee. Série taïwanaise, écrite par une artiste taïwanaise, se déroulant (au moins au début) à Taiwan, publiée en France par Meian, sous un format poche et fortement inspirée des œuvres japonaises, en particulier des shôjo manga – s’agissant, outre son format, du découpage et du trait de l’autrice. Nicky Lee manie un dessin élégant fait de personnages aux membres démesurés et aux yeux larges, parfaitement adapté au milieu du mannequinat qu’elle dépeint. Milieu qui lui donne aussi l’occasion de proposer des illustrations les montrant dans des tenues et positions extravagantes. Outre ses qualités esthétiques, c’est vraiment l’héroïne qui m’a permis d’instantanément accrocher à l’histoire, maladroite et naïve dans un premier temps, mais capable de régulièrement surprendre les personnes qui l’entourent. Son parcours dans le milieu de la mode est enthousiasmant (même s’il lui arrive d’être au fond du gouffre), de même que sa relation étrange avec deux jumeaux non moins farfelus. Avec au passage pas mal de personnages hauts-en-couleur. Comme souvent avec Meian, le titre sort de nulle part. D’où une surprise d’autant meilleure.

Dans l’ensemble, l’année m’a paru étrange, avec d’excellentes surprises, mais aussi des confirmations suite à de mauvaises impressions laissées ces dernières années.
Les nouveautés les plus intéressantes viennent pour la plupart de maisons d’édition que je ne souhaite pas soutenir, car elles souffrent de problèmes criants. Si nous mettons de côté Akata, Ki-oon et Le Lézard Noir, les maisons d’édition les plus installées m’ont donné l’impression de limiter leurs prises de risque, en proposant des titres relativement convenus et attendus, qui ont rarement su attirer mon attention. C’est particulièrement vrai pour Kana, qui en délaissant ses collections Sensei et Life en 2022 n’a rien su annoncer d’attrayant, là où je commence habituellement plusieurs séries chaque année chez cette maison d’édition.

En parallèle, nous avons eu de grosses surprises chez Meian, Black Box, et noeve grafx. Seulement, chez ces maisons d’édition, cela ressemble plus à de l’inconscience qu’à des plans murement réfléchis ; ce qui explique que certains de ces titres n’aient jamais été (re)proposés par la concurrence. Meian et noeve grafx travaillent bien s’agissant de la conception des livres (tandis que Black Box rogne sur la qualité), mais n’offrent aucune visibilité concernant leur calendrier de sorties et le soin apporté aux séries apparemment les moins rentables. Et autant je n’attends plus rien de Meian sur ce sujet, autant noeve grafx a confirmé toutes mes craintes les concernant : l’éditeur annonce à tour de bras, nous trouverons dans son catalogue beaucoup de séries longues (souvent encore en cours au Japon) ou appartenant à des genres jugés difficiles à imposer sur le marché français, mais sans l’accompagnement nécessaire, et avec de longs hiatus entre deux tomes. Le mélange est explosif. J’espère qu’ils vont se ressaisir en 2023, car un éditeur s’intéressant plus à ses lancements qu’à ses séries en cours, ce n’est pas bon signe…Grâce à ces trois maisons d’édition, j’ai eu droit à d’excellentes nouveautés. Reste à voir si elles arriveront au bout, et dans le cas de noeve grafx, j’éprouve du mal à me montrer optimiste…

Quid de la concurrence ? Comme indiqué tantôt, trois sortent du lot à mes yeux. Le Lézard Noir semble se spécialiser dans les grandes mangaka, avec de temps à autre un titre plus dans la lignée de leur ancien catalogue ; j’apprécie les deux facettes de l’éditeur, mais ne retient vraiment que La Grande Traversée cette année. Ki-oon continue de s’imposer comme un éditeur fiable, s’offrant un petit plaisir de temps en temps ; soit un titre plus compliqué à imposer, mais sortant des sentiers battus. Hormis Sans Complexe en début d’année et évidemment leur collection Héritages (dont les titres arriveront en 2023), les annonces d’Akata sont passées sous mon radar, jusqu’à un mois de Novembre très riche en nouveautés (avec aussi une réédition).
Pour le reste, les brebis galeuses ne changent pas trop, de même que les éditeurs me laissant indifférent, ou n’arrivant plus à proposer le moindre titre attrayant.

De manière plus transverse, je ne trouve toujours pas autant de shôjo manga à ma convenance que je le souhaiterais. J’ai déjà cité La Grande Traversée et Dreamin Sun, et dans une moindre mesure Sans Complexe. Je rajouterai Make up with mud chez Meian, Mon petit ami genderless chez Akata (que je connaissais déjà via l’édition US), et Kageki Shôjo!!, suite d’une des meilleures nouveautés de 2021, mais dont nous n’aurons là encore eu qu’un seul tome en 2022 (décidément Meian et noeve grafx…). Le reste est plus anecdotique ou attendu. Citons tout-de-même Yasha, absent de cet article, mais dont le premier tome m’a bien plu ; le format n’aidant pas, je n’ai pas encore lu la suite, si vous devez trouver une raison pour son absence ici.
Pas de nouveau shônen issu du Jump pour moi cette année (disons surtout que j’ai testé puis abandonné deux rééditions), mais je trouve mon compte niveau action/baston grâce à des vieux trucs chez des éditeurs passables.
En dehors de ces catégories, mes meilleures surprises restent le totalement inattendu The Five Star Stories et les travaux de jeunesse de Tatsuki Fujimoto chez Crunchyloll. J’espère aussi que le second et dernier tome d’Utsubora confirmera la bonne impression laissée par le premier.

Mes attentes pour 2023 : la collection Héritages d’Akata, le retour de YAS chez naBan (avec Arion et Venus Wars), une meilleure gestion de leur calendrier de sorties par noeve grafx et Meian, que Panini Comics et Delcourt Tonkam arrêtent de nous prendre pour des poires, de nouvelles séries de Fumi Yoshinaga et Natsume Ono, plein de shôjo manga de qualité, la paix dans le monde, 100 balles et un Mars.

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Un commentaire pour L’année du grand n’importe quoi éditorial : bilan manga de 2022

  1. tampopo24 dit :

    Un beau bilan dans la positivité fait plaisir. Il y a beaucoup de titres que j’aime parmi ceux que tu sais. mais mon coup de cœur va à Utsubora et Karakuri Circus que je ne pensez pas aimer autant pour le second.
    J’aime tes perspectives pour 2023 que je partage en partie alors très belle année à toi

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