Je me sens apaisé. Ou étrangement satisfait. Apaisé (ou satisfait) de m’apercevoir qu’une théorie que je défends depuis maintenant plusieurs années possède non seulement des défenseurs, mais aussi un nom, et que le courant de pensée qui en résulte découle d’un raisonnement semblable au mien. Ce courant, c’est la Nouvelle Sincérité. Je sais, cela fait un peu nom de secte…
Ce que je m’apprête à énoncer ici vaut pour tous les domaines artistiques et culturelles : peinture, cinéma, littérature, musique, télévision, théâtre, que sais-je encore. Ce qui inclut nécessairement les manga et l’animation japonaise. Mais, parce qu’il s’agit d’un domaine largement partagé et me fournissant nombre d’exemples pertinents, je me focaliserai sur le cinéma, tout en prenant soin de mentionner ça et là des œuvres issues d’autres univers.
Pour commencer, de quoi parlons-nous ? Un spectateur sort du cinéma. Il vient de voir Resident Evil 5, ou Fast & Furious 7, ou encore Transformers 4. Et de s’écrier, avec le sourire : « Qu’est-ce que c’était nul ! » Celui-ci, vous pouvez être sûrs de le retrouver quelques temps plus tard, sortant d’une séance de Resident Evil 6, ou Fast & Furious 8, ou encore Transformers 5.
Deux mécanismes entrent ici en jeu : l’ironie postmoderne assumée, et l’ironie postmoderne feinte. Qu’est-ce que l’ironie postmoderne, me demanderez-vous. Dans la situation qui nous intéresse, c’est le principe consistant à regarder – sciemment – un long-métrage communément considéré comme ne correspondant pas aux critères qualitatifs couramment partagés par son milieu social, afin de tourner l’œuvre et l’expérience en dérision, et de prendre du plaisir dans ce processus. Le spectateur ne rit pas avec le film mais du film lui-même, et par extension de son public cible (dont il fait pourtant partie sans s’en rendre compte), montrant ainsi qu’il ne se laisse pas duper par le spectacle proposé.
Il arrive que les long-métrages eux-mêmes en jouent, en particulier en cas d’adaptation d’œuvres préexistantes et dont les responsables estiment qu’elles ne peuvent décemment être prises au sérieux. Se crée alors une complicité avec le public, pour bien montrer qu’eux-aussi ont compris le caractère débilitant du produit.
Si je sépare le phénomène assumé de celui feint, c’est car de nombreux spectateurs invoqueront ce processus pour justifier d’apprécier une œuvre qu’ils pensent devoir ne pas apprécier. Il est alors question de plaisir coupable. Nous le trouvons associé à des phrases aussi surréalistes que « j’ai apprécié justement car c’était naze » (ce qui parait effectivement fort ironique).
Cela explique en grande partie le succès actuel des nanars, et par extension des comédies nanardes, ces productions simulant la nullité pour s’attirer les faveurs, l’amusement, et finalement l’argent d’un public prompt à se moquer de tout ce qui pourrait témoigner du moindre échec artistique.
Pire, ses défenseurs n’hésitent pas à imposer cette grille de lecture à leurs contemporains, pour expliquer l’intérêt qu’ils peuvent porter à des productions à priori incompatibles avec les dictats sociaux ; c’est ainsi que de nombreux passionnés de My Little Pony se seront vus traités de « trolls », car ils ne pouvaient imaginer que des adultes puissent sincèrement apprécier un programme destiné à des petites filles.
Ou du moins, quand bien même il serait possible d’apprécier l’œuvre, il ne viendrait pas à l’esprit des défenseurs de l’ironie postmoderne – par ailleurs conscients ou non de défendre cette pratique – de l’assumer, voire de le revendiquer. Nous en revenons à notre principe du plaisir coupable : tu ne peux évoquer ton attachement qu’en le justifiant par des défauts, reconnus comme tels selon des critères tacitement partagés par ton entourage.
Fast & Furious se résumant à des voitures de course et des filles sexy, c’est un divertissement de beauf. Si tu apprécies, c’est au choix que tu te moques des beauf, ou que tu en es un toi-même. CQFD.
Là, nous en arrivons à la Nouvelle Sincérité. Le principe consiste à regarder et à apprécier ou non une œuvre en faisant fi – du moins autant que faire se peut – des dictats sociaux liés à la mode, à l’actualité, au genre, et à notre environnement intellectuel. Surtout, et c’est sans doute le plus important, il convient d’assumer notre ressenti, qu’il aille ou non dans le sens imposé par ces mêmes dictats. Si l’œuvre en question nous a fait plaisir, si elle nous a permis de passer un moment agréable, nous a diverti, ou si elle propage des valeurs qui nous parlent, pourquoi s’en cacher ? Cela n’a rien de honteux. Évidemment, dans ces conditions, le plaisir coupable n’existe plus, car à moins d’effectivement contrevenir aux lois de la République, un plaisir n’est jamais coupable.
Par extension, l’inverse fonctionne aussi : si nous nous sommes ennuyés profondément devant une œuvre, inutile de prétendre le contraire sinon pour maintenir notre statut au sein du groupe.
La Nouvelle Sincérité explique le succès d’une série comme My Little Pony : son public majoritaire n’est même pas censé la regarder, mais celui-ci aura trouvé à l’intérieur des personnages attachants et positifs, une réalisation enlevée issue des classiques du cartoon, de la bonne humeur, et une absence de ce cynisme pourtant très présent dans la production actuelle.
Cela témoigne d’une approche de l’œuvre plus premier degré, plus spontanée voire candide, et plus aisément assumée, même si en l’occurrence le facteur communautaire aide sans aucun doute à extérioriser cet intérêt atypique. Et en même temps, il serait triste de se priver ou de se moquer d’un dessin-animé aussi agréable, tendre, et joyeux, juste parce que des adultes ne sont pas censés évoluer dans un monde agréable, tendre, et joyeux, vous ne trouvez pas ?
Pour autant, je ne crois pas que nul oublie qu’il s’agit d’une publicité pour une gamme de jouets.
Soyons clair : la Nouvelle Sincérité ne dispense pas de faire preuve d’esprit critique, et n’implique en aucune façon d’aimer tout ce qui existe sans restriction. Cela signifie seulement que le plus important reste notre sensibilité personnelle, notre ressenti, et ce que nous retirons de l’œuvre, puis notre façon d’exprimer et d’assumer cette expérience.
Pour vous donner un exemple concret, j’ai récemment regardé Cool World de Ralph Bakshi. Je suis le premier à reconnaitre que le scénario est mal écrit, en particulier dans sa dernière demi-heure, durant laquelle il invente de nouveaux concepts et modifie les règles comme si son univers avait toujours été ainsi. Mais en même temps, il possède une grande inventivité, propose quelques concepts originaux, et surtout dispose d’une direction artistique atypique tout bonnement incroyable, comme je n’en avais jamais vu auparavant. Je peux affirmer sans rougir qu’il m’a plu, ce qui ne m’interdit pas d’en reconnaitre les limites.
Autre exemple, qui sera peut-être plus parlant : j’apprécie le cinéma de Paul WS Anderson, le réalisateur de plusieurs Resident Evil, de Mortal Kombat, d’Alien VS Predator, ou de Death Race. Vous me direz peut-être que ses films font dans le grand n’importe quoi. Je vous répondrai que cela ne m’apparait pas comme un défaut. Bien au contraire. Paul WS Anderson est un cinéaste qui semble disposé à exploser consciencieusement toutes les barrières du sens commun et de la mesure, aboutissant à des divertissements idiots mais généreux en diable, bourrés d’idées que personne de sain d’esprit n’oserait intégrer à un long-métrage. Ce qui nous donne The Three Musketeers, avec une Milady adepte du kung-fu, un Athos ninja, et des combats aériens, le tout à l’époque de Louis XIII. J’ai conscience de l’absurdité de l’entreprise, mais ce genre de délire décomplexé me parle. Pareil pour le second volet cinématographique de GI Joe.
Dans un style différent, j’ai adoré Outpost, car j’ai l’impression que cela faisait des années que je n’avais pas vu un film de zombies nazis prenant son sujet au sérieux, sans jouer la carte du postmodernisme de mes deux tentacules. Et cela fait tellement de bien, bordel ! Non pas que je renie Dead Snow 2 – par contre, je conchie Iron Sky – mais il faut savoir varier les plaisirs.
Vous l’aurez compris, la Nouvelle Sincérité, c’est avant tout un état d’esprit, une façon naïve d’aborder une œuvre et de la regarder par le seul prisme de nos émotions. Il s’agit en quelque sorte d’une rupture voulue avec l’ironie et le cynisme omniprésents depuis le début des années 90, et à mon sens d’un retour à l’essentiel, avec cette seule question : avons-nous aimé ou non ?
N’est-ce pas là le plus important ?
Je ne connaissais pas ce terme de « nouvelle sincérité » 🙂 . Il est vrai qu’aujourd’hui, le cynisme est dans l’air du temps. J’avoue éprouver un plaisir coupable, en regardant les Van Damme, notamment parce que j’ai été super fan de cet acteur quand j’étais très jeune (et naïve ^^ ). Il y a un côté nostalgique et rigolo dans ces productions, parfois involontairement drôles du fait du doublage. En revanche, la mode du nanar aidant, tout est devenu bon pour apprécier quelque chose car c’est « trop nul ». Cette mode commence à me fatiguer, tout comme la mode du fameux « what the fuck » où tout décalage est toujours poussé plus loin. Dans Dorohedoro, le côté décalé de la tête de caïman me faisait beaucoup rire il y a plus de dix ans, car c’était moins la norme. Mais aujourd’hui, j’ai ce ressenti qu’il y a un tel potentiel qu’il faut bien mettre un truc bien décalé dans une fiction.
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C’est vrai que condamner tout ce qui sort de la norme par « c’est what the fuck », ou « ils ont pris de la drogue » est quelque peu soulant.
Je relisais un article que j’ai écrit il y a quelques années sur les nanars, et avec le recul, j’y trouve les prémices de mon texte ci-dessus. Mais maintenant que j’y pense, le site Nanarland est extrêmement hautain et discriminatoire, car parmi tous les films présentés, il y en a énormément catalogués comme nanars juste à cause de leur esthétique datée (le Batman de 66), car considérés comme « franchouillard » (tous ceux des Charlots), ou tout simplement car produits par Luc Besson.
En fait, je crois de moins en moins au terme nanar, car parmi tous ceux que j’ai vu, il y a d’un côté ceux que j’ai trouvé réellement bons, et ceux que j’ai trouvé tout simplement mauvais sans que cela ne me fasse rire. A part, peut-être, Clash of the Ninjas, où le je-m’en-foutisme total de son réalisateur donne lieu à des scènes que personne d’autre n’aurait osé tourner.
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Nanar est un terme un peu fourre-tout au final… Après, j’aime bien me marrer devant des trucs au look bien kitsch, ne serait-ce certains vêtements dans les manga de Moto Hagio (et pourtant, dieu sait combien j’apprécie cette mangaka ^^ ).
Je n’ai jamais été beaucoup sur Nanarland, mais je dois avouer que la fiche sur Van Damme m’a plus d’une fois fait rigoler.
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Ping : Une simple question de contexte | Le Chapelier Fou
Pareille, je découvre le terme mais je me demande si cela à une valeur et assez de recul pour être approché au niveau des sciences humaines ? (je sais pas si je suis très clair ? ^^’)
J’avoue que fast & furious c’était pas ma tasse de thé, je reproche rien à la saga juste que de base, le combo grosses voitures et filles sexy, c’est pas un pitch qui me fera venir au cinéma…ça c’était jusqu’à ce qu’une amie nous y emmène pour voir le 6 parce qu’elle aimait vraiment la saga. C’était un peu son péché mignon. Honnêtement, ça a été une agréable surprise (enfin ceci dit je m’attendais pas non plus à sortir de la salle en criant que j’avais gâché £10) et quand j’ai vu Statham à la fin, je me suis dit que je voulais voir la suite…comme quoi…(bon pour l’instant je l’ai toujours pas vu)
J’ai bien aimé Cool World de Ralph Bakshi, déjà parce que j’aime beaucoup Bakshi, même si certains films ont très mal vieillis ou que le fond du scénar est trop léger ou avec des incohérences, mais je trouve qu’il y a une patte, un style, qui montre bien que le cinéma d’animation n’est pas uniquement pour les enfants.
J’ai toujours essayé de défendre des films mauvais ou que les gens n’aiment pas et inversement avec les films classés comme chef d’oeuvres ou que l’on me vend comme tel (genre Sucker punch…qu’on aime oui je comprends, voir ça comme un chef d’oeuvre du 7eme art, non), même pas par esprit de contradiction (quoique). Comme avec l’exemple du film CdZ.
Concernant la WTF, comme on dit trop de WTF tue le WTF. Et j’ai l’impression que les gens classent un film WTF dès que l’on sort de leur zone de confort, de ce qu’ils ont l’habitude de voir ou que ça leur demande un minimum de réflexion.
Au final la nouvelle sincérité c’est un peu comme pouvoir dire aujourd’hui qu’on aime les manga et les comics, c’est moins honteux puisque le média est plus « populaire » et pris au sérieux. Enfin ceci dit, même si on fait son coming out il faut que les personnes en face aient assez d’ouverture d’esprit pour comprendre et pas venir te cracher à la gueule parce qu’elles trouvent tes goûts mauvais.
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Pour ce que j’en ai lu, le concept de la nouvelle sincérité existe depuis les années 80/90 aux USA, mais n’a tout simplement pas été importé en Europe. Pourtant, je trouve qu’à notre époque, c’est une approche de plus en plus pertinente.
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D’accord, j’essaierais de voir si je peux trouver des choses sur le sujet chez moi.
De manière générale, la France est souvent en retard ou réfractaire à certains courants, quand ça n’arrive pas chez nous des années après la bataille, par chauvinisme ou exception culturelle française…
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