De Cape et de Crocs

Après cette série d’articles sur Tintin, il ne me serait point venu à l’esprit de poursuivre sur la voie de la bande-dessinée franco-belge, mais la lecture du neuvième volume – le dernier en date – de l’excellentissime série De Cape et de Crocs me pousse bien malgré moi à m’étendre sur le sujet en ces quelques lignes.

Ma mère lisait le Journal de Tintin, mon père préférait Pilote. Leur parcours se rejoint en ce point : leur connaissance en matière de littérature imagée se résume aux classiques, et c’est par les classiques que j’ai entamé il y a une vingtaine d’années mon périple dans la bande-dessinée. Tintin, Astérix et Lucky Luke restèrent bien longtemps mes héros de chevet, et sans jamais vouloir les renier, c’est par ma volonté seule que le reste de cet univers je me suis mis à explorer. Par l’entremet de plusieurs dessin-animés, j’ai découvert les super-héros du nouveau monde et avec eux leurs folles aventures sur papier. Puis, c’est vers leurs équivalents d’extrême-orient que je me suis tourné. Mais dans le monde la bande-dessinée franco-belge, je le déplore, je ne connaissais encore que des héros classiques et usés, étant peu au fait des nouvelles histoires et des nouveaux héros. A plusieurs reprises, le hasard me guida vers des titres aussi inconnus que plaisants, c’est ainsi que je découvrais XIII et les récits auto-biographiques de Guy Delisle. Un beau jour, grâce à un ami tout aussi passionné que moi, j’ai eu le plaisir de lire pour la première fois De Cape et de Crocs, une série étonnante et tout autant passionnante.

Don Lope de Villalobos Y Sangrin et Armand Raynal de Maupertuis, un loup et un renard, ont été chassés de la Cour du Roy suite à une divergence avec un faquin que l’un d’eux dument corrigea. C’est à Venise que nous les découvrons, errant mais n’ayant rien perdu de leur superbe, quand la perspective d’une aventure et d’un trésor se présente à eux. Mais pour vivre l’une et atteindre l’autre, il leur faudra aller au bout du monde, et peut-être même au-delà.
Dans leur périple, ils croiseront foule de personnages incongrus, tels qu’un lapin habile en déguisement, un chevalier sournois, un janissaire maure, un savant versatile, et un maitre d’arme au grand… courage.

Il me serait fort peu aisé de résumer cette série en ne prenant en compte que son histoire, et ce pour deux excellentes raisons. D’une part, il faut ici s’attendre à tout et quelqu’un ayant lu le premier volume avant d’en découvrir le troisième se demandera par quel improbable miracle les personnages ont pu en arriver à une telle situation. D’autre part, ce titre se caractérise tout autant par sa trépidante aventure que par un style bien à lui.
Dans De Cape et de Crocs, les animaux humanisés sortis tout droit des Fables de Lafontaine côtoient des humains tout ce qu’il y a de plus commun, sans que cela ne semble étonner qui que ce fût. Surtout, nous avons là une véritable ode au langage, les auteurs à travers les paroles de leurs protagonistes s’essayant à la litote, au jeu de mot, à l’oxymore, à l’allitération, à la contrepèterie, à l’alexandrin, et bien entendu à la rixme, un art délicat alliant la puissance de la rime avec la vivacité de l’escrime. Les dialogues sont soutenus, surprenants, intelligents, mais en deviennent toujours amusants. Ayroles & Masbou, les auteurs susnommés, se plaisent à inonder le lecteur de références plus ou moins obscures, plus ou moins anciennes, empruntées essentiellement au théâtre classique, aux fables, aux grands faits historiques, mais parfois aussi à des sources beaucoup moins nobles, dans une douce folie à la fois érudite mais non moins populaire. Les personnages sont haut en couleur, vibrant, virevoltant : le vulpin Aymand, gascon raffiné – fin bretteur et poète à ses heures – accompagné de son compagnon au sang chaud, le fier hidalgo Don Lope ; ils deviennent attachants dès les premières cases du récit, mais les rencontres qu’ils feront tout au long de leur chemin le deviendront tout autant.

Si je devais m’en tenir à l’histoire, cette série a tout pour attirer le chalant : trésors, pirates, mystères, aventures, capes, et épées. De quoi composer un grand récit, mais les auteurs savent détourner leurs propres références, apporter humour et bons mots pour concevoir une œuvre tout à fait unique, trépidante, joyeuse, terrible, originale, iconoclaste, et tous les superlatifs nécessaires pour exprimer ce que je peux résumer en une seule phrase concise et pleine de passion : De Capes et de Crocs c’est de la balle !

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12 commentaires pour De Cape et de Crocs

  1. Thom dit :

    En effet, c’est de la balle.

    J’ai eu la chance de la voir adapter au théâtre et le tout ne perd pas de sa grandeur, les phrases sonnent justes et l’humour est bien présent.

    Une bonne bd a recommander à beaucoup de monde.

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  2. Ginie dit :

    Très bon billet pour une excellente série, peut-être même la meilleur dans son genre.

    Les dialogues de Don Lope et Armand sont juste cultissimes ! (la scène avec le cul-de-jatte est une de mes favorites !)

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  3. gemini dit :

    Thom >> Une version au théâtre ? J’avoue que j’aurais voulu voir ça 🙂

    Ginie >> Pour ma part, j’aime beaucoup le runing-gag sur les poulets 😀

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  4. Thom dit :

    C’était une pièce de théatre donnée à l’ens (école normal supérieur) de Lyon.
    Bien évidemment légèrement adapté, mais quand même très fidèle.

    C’était assez marrant!!!

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  5. gemini dit :

    Fichtre, étant moi-même lyonnais, j’aurais voulu assister à une telle représentation 😦

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  6. Thom dit :

    C’était gratuit qui plus est… Ça c’est déroulé à Gerland vers l’ens science dans l’amphi Mérieux (place d’Italie)
    Mais c’était d’un niveau « amateur » mais le tout était fidèle et bon délire.

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  7. De capes et de Crocs c’est juste le Bien. Quand je pense que la série a failli crever en plein milieu !

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  8. Tata dit :

    J’aimerais bien une peluche Eusèbe. Rien que pour les oreilles.

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  9. Ialda dit :

    Chose rigolote, ça parlait justement hier de de Cape et de crocs sur un fofo où je lurke, j ai pu apprendre que la série était a l origine une campagne de Jdr perso de ses auteurs.
    Si un jour ils nous la sorte, ça serait le bonheur.
    Sinon, du même avis que tout le monde, avec un léger bémol sur la parie lunaire, malgré les fabuleux duels d’ alexandrins.

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  10. tompopo dit :

    Tiens, une de mes BD préférées.

    Au ciel sans horizon
    De cet aqueux tartare
    Où loin de toi je gis
    La lune est comme un phare.

    As tu lu Garulfo ? Ayroles a fait le scénario également, et c’est tout aussi bon.

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  11. gemini dit :

    Je déteste Garulfo !

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  12. TMA dit :

    Fan également de cette super BD, esthétique, originale et bien écrite.
    Comme a dit Tata plus haut, j’adorerais aussi trouver une peluche du petit Eusebio. Savez-vous si ça existe qq part ?

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