Parfois, des manga arrivent en France, nous ne savons pas d’où ils sortent ou ce qui a pu pousser leur éditeur à les choisir, mais les voilà, et c’est un choc. Cela résume bien la surprise que fût Liddell au clair de lune, série datant du début des années 1980 et première publiée en France pour son autrice Yoshimi Uchida.
Vladimir revient à Chicago après quelques années d’absence. Il y retrouve Hugh, un ami rencontré à l’université, hanté par un rêve récurrent dans lequel il parcourt un manoir victorien avec une étrange fillette. Intrigué plus que de raison, Vladimir décide d’enquêter sur la signification de ce rêve.
Dans Trait pour Trait, Akiko Higashimura évoque avec nostalgie le Bouquet, magazine de prépublication de shôjo manga dont la lecture l’a énormément influencée dans sa jeunesse. L’éditeur Shueisha en a interrompu la publication en 2000, transférant une partie de son équipe éditoriale et certaines séries en cours dans le magazine Cookie (Nana, Six Half, Puzzle,…), lequel peut donc être considéré comme son héritier.
La description faite par la mangaka avait évidemment attisé ma curiosité. Malheureusement, l’histoire de ce magazine en France se limite à quelques séries courtes de Mari Okazaki, aujourd’hui en arrêt de commercialisation. Liddell au clair de lune signe donc le retour du Bouquet dans la langue de Molière, en espérant qu’il ouvre la voie à d’autres titres.
Si j’avais un reproche à faire à l’édition française de Liddell au clair de lune, ce serait que nous n’avons vraiment que deux courts textes en fin de premier tome (sur trois) pour nous familiariser avec l’autrice. Alors que l’éditeur admet en postface que peu de lecteur·ices français·es doivent la connaître, il ne propose rien permettant de découvrir son parcours et ses influences. Tout au plus apprendrons-nous qu’elle lisait le Shônen Sunday étant enfant. Quant à elle, elle nous indique dans ses quelques espaces de liberté aimer The Blues Brothers et ne pas être une grosse travailleuse (ou du moins pas une mangaka très assidue), au grand désespoir de son responsable éditorial.
Il y aurait pourtant certainement énormément de choses à raconter sur ses centres d’intérêt, lesquels rejaillissent sur ses protagonistes, qui vont dès lors se mettre à parler de cinéma, de littérature anglo-saxonne (comics compris), de philosophie, de climatologie, de physique des particules, de parapsychologie,… ainsi que de l’actualité américaine, ce qui permet de les inscrire dans leur époque et de les rendre crédibles.
C’est d’ailleurs une des particularités de la série ; au fil des rencontres, parfois avec des individus improbables – un basketteur, un vendeur de comics, une chercheuse, un détective privé,… – les personnages vont se lancer dans des discussions enflammées sur le monde qui les entoure, ou sur tout autre chose. Cela m’a un peu rappelé Vente à la criée du lot 49 de Thomas Pynchon (il faudrait que je lise d’autres romans de cet auteur), où l’héroïne pouvait rentrer dans un bar, y faire la connaissance d’ingénieurs électroniciens passionnés de musique, et y discuter pendant des heures de théâtre élisabéthain. A ceci près que Liddell au clair de lune reste sur des registres moins volontairement pointus.
La série suit essentiellement Vladimir, personnage mystérieux, apparemment oisif et peu intéressé par les choses de ce monde, mais en même temps fasciné par Hugh, ainsi que par son étrange condition, au point de s’investir pour comprendre ce qui lui arrive. Quitte à prendre parfois des directions complètement déconnectées de sa quête principale.
Liddell au clair de lune est un manga foncièrement étrange, difficile à décrire. Et je ne voudrais certainement pas vous en dévoiler tous les tenants et les aboutissants, même si chacun pourra sans doute interpréter à sa façon des éléments de l’histoire. Nous ne savons jamais trop si nous baignons dans un environnement fantastique ou non, Vladimir étant un cartésien tandis que certaines de ses rencontres ont une conception plus émerveillé de la réalité. Mais cela participe au côté fascinant, déroutant de l’œuvre.
Le dessin participe aussi à cette étrangeté, avec ses personnages longilignes, aux traits détaillés (Vladimir me rappelle H.P. Lovecraft), évoluant dans des décors tantôt vides, tantôt photoréalistes (quand il ne s’agit pas réellement de photos), voire noyés sous les fleurs. Son sens du détail pousse Yoshimi Uchida à reproduire des couvertures de Uncanny X-men, Conan the Barbarian, ou encore Peanuts en arrière-plan, à une époque il n’était probablement pas aussi aisé de se documenter sur ces publications américaines pour une personne vivant au Japon. Chicago offre un cadre inhabituel, une ville américaine froide et balayée par le vent venu du lac Michigan.
Liddell au clair de lune est une œuvre singulière, tout aussi inhabituelle que son cadre. Lente, labyrinthique, mais mémorable grâce à une ambiance absolument unique. Il me reste encore certainement beaucoup d’éléments à découvrir, de détails qui auraient pu passer inaperçus lors de ma première lecture de cette œuvre à la fois riche et maîtrisée. Mais je reviendrai dessus en temps et en heure.
J’espère qu’elle saura trouver son public en France, et que grâce à cela, nous aurons l’occasion de retrouver Yoshimi Uchida pour d’autres aventures.
Coucou ^^
Ton avis m’intrigue beaucoup car j’avais repéré cette série – assez atypique – dès sa sortie. Déjà rien qu’aux couvertures on sent l’ambiance particulière et les illustrations que tu partages ne font que renforcer mon envie de le lire.
Je pense qu’il faut que je me le procure pour vraiment comprendre ce qu’il vaut ! ^^
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