Mythe ou Réalité ?

J’avais envie de répondre à une petite question.

Quel point commun existe-t-il entre Kazue Katô (Blue Exorcist), Yana Toboso (Black Butler), Rumiko Takahashi (Ranma ½), Hiromu Arakawa (Fullmetal Alchemist) ou encore Jun Mochizuki (Pandora Heart) ? Derrière ces noms se cachent des femmes spécialisées dans les shônen, les manga destinés à un (jeune) public masculin. Et il ne s’agit pas de cas isolés. Sans aller jusqu’à s’y consacrer entièrement, des autrices comme les CLAMP (Angelic Layer), Yuu Watase (Arata), et même la légendaire Keiko Takemiya (Terra e…) se sont essayées aux séries pour garçons.
Le phénomène ne date pas d’hier – Terra e… a commencé en 1977, Urusei Yatsura de Rumiko Takahashi en 1978 – et s’il peut surprendre certains lecteurs de prime abord, il ne dérange absolument personne.

Evidemment, la question logique qui se pose devant un tel phénomène est la suivante : et l’inverse dans tout ça ?
Récemment, Akata a publié Voyage au Bout de l’Eté de Keiko Nishi. Le héros, Makoto, rêve de devenir mangaka de shôjo et a énormément de mal à franchir le pas. J’ai beaucoup apprécié ce manga, notamment grâce à son personnage principal. Quant à la profession qu’il cherche à exercer, en tant que lecteur assidu de shôjo manga, elle ne peut que m’interpeller.
Or, aussi étonnant que cela puisse paraitre, Voyage au Bout de l’Eté n’est pas le seul titre récent (comprenez post 2000) présentant un homme auteur de shôjo manga. Deux exemples me viennent immédiatement en tête : Gekkan Shôjo Nozaki-kun et Otomen. Toutefois, il faut bien reconnaitre que ces deux séries utilisent le décalage entre le genre et la profession de leurs personnages comme ressort comique. Rien n’explique pourquoi Umetarô Nozaki, lycéen étranger aux choses de l’amour, a décidé de se lancer dans une telle carrière, et sa personnalité l’empêche régulièrement d’écrire des situations crédibles pour sa série. Quant à Otomen, le manga repose justement sur ses personnages masculins ne correspondant aux stéréotypes genrés, allant jusqu’à présenter deux mangaka se travestissant lors de leurs apparitions publiques pour ne pas décevoir leurs fans.
Point commun entre chaque série : les auteurs utilisent des pseudonymes féminins, là encore pour cacher leur véritable identité. De là à imaginer que, aujourd’hui encore, des hommes se dissimulent sous des pseudonymes pour écrire des shôjo ?

Alors, fiction ou réalité ?
Pour faire court : fiction. Navré de devoir briser quelques rêves. Néanmoins, la situation est plus compliquée que cela.

Jusqu’aux années 60, il existait peu de femmes mangaka, par conséquent la majorité des auteurs de shôjo étaient bel et bien des hommes. Des mangaka comme Osamu Tezuka (Astro Boy), Leiji Matsumoto (Captain Harlock), Fujio Akatsuka (Osomatsu-kun), Mitsuteru Yokoyama (Giant Robo), ou Shotaro Ishinomori (Cyborg 009) ont dessiné des shôjo voire s’y sont longtemps consacré, en particulier à leurs débuts. Certains de leurs titres, comme Ribon no Kishi (Princesse Saphir) de Osamu Tezuka, Himitsu no Akko-chan (Caroline) de Fujio Akatsuka, ou Mahô Tsukai Sally (Sally la Petite Sorcière) de Mitsuteru Yokoyama ont eu un impact important sur l’industrie.

Seulement, dans les années 60, de nombreuses Japonaises ont investi le terrain du shôjo manga et fini par en reprendre les rênes. Depuis, les shôjo manga écrits par des hommes font figure d’exception.
Parmi les mangaka toujours en activité, seuls deux noms paraissent réellement spécialisés dans les shôjo manga. Le premier est Mineo Maya, dont le manga fleuve Patalliro dure depuis 1978. Le second est Nari Yamada, un auteur qui n’a malheureusement plus connu de succès publique depuis sa série Kisse~s dans les années 90.
Shinji Wada, auteur notamment de Sukeban Deka et disparu prématurément en 2011, avait lui-aussi consacré l’essentiel de sa carrière aux manga destinés au lectorat féminin.
Kazuo Umezu, auteur surtout connu en France pour ses récits horrifiques comme Hyôryû Kyôshitsu (L’Ecole Emportée), a commencé sa carrière à une époque où il n’était pas encore incongru pour un homme d’écrire des shôjo, et a continué à en écrire jusqu’à la fin des années 70. Les shôjo et l’horreur n’étant absolument pas incompatibles.
Et qui dit horreur dit Junji Ito, mangaka ayant très régulièrement participé à des magazines shôjo, notamment pour Tomie ou la longue série des Ito Junji Kyofu Manga Collection (Junji Ito Collection).
De la même façon que Yuu Watase et Keiko Takemiya ont délaissé un temps les shôjo pour s’essayer aux shônen, il arrive aussi que des auteurs écrivent un shôjo alors qu’il ne s’agit pas de leur domaine habituel. Nous pouvons citer Adachi Mitsuru avec Hi Atari Ryoko (Une Vie Nouvelle), mais il s’agit là encore d’un phénomène marginal, en tout cas plus que la relation inverse.

Toutefois, il convient de noter que le Japon compte des centaines de mangaka publiés chaque mois, dont beaucoup n’accéderont jamais à la notoriété. Parmi eux, existe-t-il des hommes écrivant des shôjo manga ? Rien n’est impossible.

Un grand merci à Rachel Thorn et Natth pour leur aide sur l’écriture de ce billet.

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3 commentaires pour Mythe ou Réalité ?

  1. Natth dit :

    Intéressant comme sujet, je pensais qu’il y avait quand même plus d’hommes dans le shôjo manga (entre 5/10% des titres ?). C’était sans doute trop optimiste. Je crois que Kazuo Umezu a fait quelques incursions dans le shôjo récemment, mais elles restent limitées. Sinon, j’ai eu l’occasion de lire Gate d’Hirotaka Kisaragi, mais il semble plutôt spécialisé dans le BL (et je n’ai rien vu de lui depuis 2013). Cependant il m’arrive d’avoir des doutes, surtout pour des mangaka que l’on ne trouve pas en France.

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  2. Pfedac dit :

    Le classique cliché comme quoi les oeuvres « pour femmes » sont inférieures alors que les oeuvres « pour hommes » sont celles où se trouverait par défaut la qualité est vivace dans la plupart des pays, je pense que c’est là qu’on doit trouver l’origine de ce déséquilibre. Ça, et le fait que les femmes ont plus l’habitude de lire des oeuvres où le héros n’est pas du même genre que le leur. C’est marrant d’ailleurs, parce que les seules oeuvres « shounen » que je lis encore sont presque exclusivement le fruit d’autrices…

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