Le Voyage de Ryu

Il m’arrive de faire des billets sur l’actualité. Cela avait été le cas pour annoncer la sortie prochaine du Voyage de Ryu, de Shotaro Ishinomori. Dans ce même billet, Jevanni me reprochait de seulement parler de cette sortie, sans donner mon avis sur le manga lui-même ; ce qui était, dans le fond, un peu normal, dans la mesure où je ne l’avais pas lu : j’annonçais seulement l’arrivée en France d’une oeuvre ancienne – c’est toujours un petit événement en soi – et d’un auteur que j’apprécie. Mais maintenant que les 2 premiers volumes sont effectivement sortis, je peux enfin donner mon avis dessus.

Quand il s’agit de commencer un nouveau manga, je me fie essentiellement à une politique d’auteurs (Kuzuryu). En dehors de mes mangaka fétiches, il m’arrive de choisir un titre selon son synopsis (Kongoh Bancho), sa renommée (Kimagure Orange Road), ou mon opinion sur une éventuelle adaptation animée (K-On!, Yume Senshi Wingman, Hikari no Densetsu). Cela peut aussi provenir d’un mélange entre un de ces critères et de la pure curiosité (Bride Stories). Pour les séries en cours ou terminées, c’est encore différent ; cela s’appuie en partie sur les critiques qui en sont faites. Je lis très peu de scans, cela ne doit pas m’arriver plus d’une ou deux fois par an. Tout cela pour dire que je ne sais jamais vraiment ce que vaut une oeuvre avant de la commencer, et cela tient aussi pour Le Voyage de Ryu. Mine de rien, les mauvaises surprises restent malgré tout très rares ; certes, dernièrement, j’ai abandonné Cyborg 009 malgré un regain d’intérêt sur le dernier tome, mais la politique de Glénat – qui augmente le prix de 50% pour cause de ventes insuffisantes – m’a porté un coup fatal.

Mais revenons au Voyage de Ryu, avec pour démarrer un petit erratum. Je ne sais plus où j’avais trouvé le résumé de la série, utilisé lors de l’annonce de sa publication, mais il est complétement erroné.
L’histoire commence lorsque Ryu, garçon intrépide et aventureux, décide de jouer les passagers clandestins sur la première navette interstellaire. Découvert puis maîtrisé par les membres de l’équipage régulier, il est placé en sommel artificiel jusqu’à leur retour sur Terre, afin qu’il ne gêne pas le bon déroulement de leur mission. A son réveil, la navette s’est écrasée sur une planète particulièrement inhospitalière, et toutes les personnes présentes à son bord ont péri, à l’exception de Ryu. Il ne lui faut pas longtemps pour comprendre que la planète sur laquelle il se trouve n’est autre que la Terre.

Pour bien aborder ce manga, il faut commencer à s’intéresser à son dessin. Pourquoi ? Parce que le style de Shotaro Ishinomori a énormément évolué au fil des années, et qu’en fonction de son trait, il est possible de déterminer l’époque où le manga en question a été écrit ; très marqué par Osamu Tezuka à ses débuts (ils ont tous deux vécus à la pension de Tokiwaso), les premiers tomes de Cyborg 009 semblent avoir été dessinés par le Dieu du Manga en personne. Tout comme Osamu Tezuka, l’évolution de son trait s’accompagne d’une évolution de son style narratif, voire du contenu de ses histoires et de la façon de les aborder ; dans une certaine mesure, le gekiga est passé par là.
Ainsi, le dessin employé par Shotaro Ishinomori sur Le Voyage de Ryu indique clairement que celui-ci n’en est plus à ses balbutiments, qu’il a atteint une certaine forme de maturité, et que cela devrait se ressentir dans le ton, les thèmes, et le découpage de l’oeuvre.

Je suppose – enfin j’espère – que le résumé ci-dessus vous a laissé dans une forme de flou. Sachez que c’est tout-à-fait voulu par l’auteur, et que cela fait parti des grandes forces de cette série. Nous savons que Ryu se trouve sur Terre, probablement dans le futur ; nous n’en saurons pas tellement plus, et le lecteur devra partir avec Ryu dans la découverte de ce monde étrange. Parce que oui, ce monde est étrange, cela ne fait aucun doute. Etrange et dangereux. Comment ? Pourquoi ? Ce n’est jamais qu’une partie du problème, car la première priorité est de survivre dans ce nouvel environnement.
Bien vite, Ryu va multiplier les rencontres et les découvertes, toutes plus surprenantes et contradictoires les unes que les autres : survivants – tout comme lui – d’expédition spatiale, villes habitées uniquement par des robots, végétaux carnivores, humains mutants ou regréssés, déserts brûlants cotoyant jungles et marécages, créatures à la technologie futuriste, animaux anormalement évolués, tout représente un danger potentiel. Vous l’aurez compris, ce flou voulu par le mangaka quant aux origines de ces changements radicaux, lui permet avant tout de mélanger des éléments à priori opposés, avec une Terre revenue à l’Âge de Pierre tout en conservant des traces de civilisations avancées et des êtres vivants en plus ou moins bon état.

Il faudra beaucoup de courage et d’astuces à notre héros pour surmonter toutes ces épreuves, et il laissera nombre de ses compagnons d’infortune derrière lui, victimes des inombrables pièges qui guettent des humains situés bien bas sur la chaine alimentaire. Le Voyage de Ryu tient à la fois de l’exercice de SF et du thriller, à la limite de l’horreur, et avec une bonne dose d’action pour lier le tout ; Shotaro Ishinomori en profite pour dispenser largement ses messages sur l’écologie, le progrès galopant, et autres thèmes qui lui sont cher ainsi qu’à Osamu Tezuka. Mine de rien, il s’agit d’un manga aussi passionnant qu’il peut être dur et cruel : les personnages tombent comme des mouches lorsqu’ils ne sombrent pas dans la folie ou le désespoir ; même Ryu finit par perdre sa foi inébranlable en l’humanité et la civilisation devant la somme de désastres qui s’accumulent devant ses yeux.
Après seulement 2 tomes – sur les 5 que comptera la série une fois sa publication terminée – Le Voyage de Ryu s’impose comme un titre fort, vibrant, et effrayant, servi par le trait et le découpage percutents d’un des grands maîtres du manga. Pour moi, il s’agit à n’en pas douter d’une oeuvre brillante, largement recommandé à tous ceux qui ne souffrent pas d’une allergie au trait passé de mode de Shotaro Ishinomori.

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2 commentaires pour Le Voyage de Ryu

  1. Mackie dit :

    Non seulement je n’y suis pas allergique, mais je l’apprécie beaucoup, le dessin d’Ishinomori. Passé de mode? qu’est-ce que ça veut bien dire? Si la mode était un critère, pour réaliser un bon manga, il n’y aurait pas besoin d’écrire une bonne histoire, il suffirait de choisir les ingrédients qui plaisent au goût du jour… Ok, tu me rétorqueras que c’est exactement la caractéristique d’une bonne partie de la production actuelle… bref.
    Ce que tu dis sur le Voyage de Ryu me fait penser à un mix entre la planète des singes et l’école emportée. Tant mieux, j’aime ce genre d’histoires. En fait, je crois bien que je vais l’acquérir – mais j’ai pas mal de choses sur le feu, et je n’ai pas encore acheté tous les Ashita…

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    • Gemini dit :

      Tu fais les questions et les réponses. J’utilise « passé de mode » car je ne crois pas que « vieux » soit nécessairement un critère de qualité pour une oeuvre, et je trouve que cela reflète le fait qu’une grande partie du lectorat français n’a pas l’habitude de ce style graphique, faisant que les manga concernés ne marchent pas particulièrement bien malgré leurs grandes qualités.

      Le Voyage de Ryu ne compte que 5 tomes et le 3ème sort ce mois, cela ne devrait pas trop te couter en argent et en temps 🙂 Avec Sabu & Ichi, il s’agit pour moi du meilleur Shotaro Ishinomori sorti en France à ce jour (en attendant Kuzuryu dans quelques semaines).

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