Laura, Passion SM

Maya Kitajima (Laura) est passionnée de théâtre et rêve de devenir actrice. Une passion qui lui permet d’être remarquée par Chigusa Tsukikage (Madame de Saint-Fiacre), une ancienne grande actrice s’apprêtant à ouvrir sa propre école de théâtre, avec comme but secret de former une personne capable de reprendre son rôle emblématique : celui de la Déesse Ecarlate.

Manga culte signé Suzue Miuchi et publié au sein du magazine Hana to Yume (puis dans le Bessatsu Hana to Yume), Glass no Kamen dure depuis 1976 et compte 49 tomes à ce jour. Une longueur qui condamne toute possibilité de publication en France, d’autant plus pour un shôjo débuté dans les années 1970.
Cette série a toutefois connu plusieurs adaptations animées, dont la première – datant de 1984 – fût diffusée en France sous le titre de Laura ou la Passion du Théâtre. C’est de cet anime dont il sera question aujourd’hui.

Ce qui pose déjà une question : celle de l’adaptation elle-même. En effet, l’anime ne dure que 23 épisodes (dont un résumé), ce qui reste peu par rapport à un manga qui en était alors à sa huitième année de publication. Surtout, nous parlons d’un titre toujours en cours, 35 ans plus tard.
N’espérez donc pas autre chose qu’une fin ouverte, qui ne résout aucun véritable enjeu. Néanmoins, celle-ci s’avère parfaitement satisfaisante, puisqu’elle se déroule après un événement important, et que la mise-en-scène accompagne à la perfection l’héroïne et sa rivale vers de nouveaux horizons.
Quant au reste de la série, il ne couvre pas moins que trois années de la vie des personnages, ce que nous n’apprenons réellement que lorsque l’héroïne nous indique son âge : 13 ans au début, 16 ans à la fin. Nous sentons effectivement régulièrement que le studio a réalisé quelques ellipses, mais rien de dommageable. Hormis le fait qu’il faut impérativement regarder les résumés en début d’épisode, car ils servent aussi à délivrer certaines informations qui n’ont pas survécu à l’adaptation.
Néanmoins, ces choix narratifs apportent à l’anime un rythme soutenu, et permettent de passer en revue plus d’événements importants dans la vie de Maya.

Il existe un autre aspect très important de cette série à prendre en considération avant de la commencer : elle date du début des années 1980 et adapte un shôjo manga des années 1970.
Je sais que j’enfonce des portes ouvertes, mais comprenez bien que je ne parle absolument pas là de la technique d’animation ou des graphismes (même si ces-derniers ne laissent aucun doute sur l’ancienneté de l’œuvre), mais bien de l’histoire elle-même et de la narration. Glass no Kamen regorge d’éléments qui n’auraient tout simplement pas leur place dans une production moderne, et que certains spectateurs pourront prendre avec le sourire alors qu’il s’agit de sa nature même. Je préfère donc vous prévenir.
Tout d’abord, Maya possède un admirateur secret, lequel la finance à différents moments de sa jeune carrière et l’encourage par l’intermédiaire de roses pourpres qu’il lui envoie régulièrement. Si nous pourrions y voir une sorte de Papa Longues Jambes, la nature des sentiments amoureux de l’intéressé fait peu de doute. Et s’il se soucie de leur différence d’âge – plus de 10 ans – il y a un autre aspect qui devrait lui poser problème : elle a 13 ans au début de la série ! Or, si l’adolescente attendant son prince charmant pouvait encore fonctionner à l’époque, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Second problème : Maya et Mme Tsukikage ont une vision extrême du métier d’acteur et de leur formation professionnelle. Ce qui signifie que cette-dernière n’aura aucun scrupule à frapper ses élèves comme le premier entraineur de volleyball venu, à leur faire subir diverses brimades afin de leur forger le caractère, voire à les mettre dans les pires situations possibles. Et Maya, en bonne masochiste, lui en sera toujours reconnaissante.
Pour ne rien arranger, vous avez peut-être entendu parler de ces acteurs capables d’aller très loin afin de parfaire leur rôle ; comme Daniel Day Lewis, qui pour interprété un artiste ne pouvant utiliser qu’un de ses pieds pour peindre, s’était lui-même imposé cette condition au quotidien. Maya applique la même méthode, partant par exemple du principe que rien ne permet mieux d’incarner une fille mourante que de jouer avec 40°C de fièvre. A tel point que, au moment où elle doit jouer une aveugle, j’ai eu peur qu’elle décide de se crever les yeux façon Shiryu du Dragon…
Non seulement une telle violence d’un professeur envers ses élèves serait inacceptable à l’heure actuelle, même au Japon, mais le jusqu’au-boutisme de Maya – bien au-delà du raisonnable – parait complètement disproportionné et souvent dangereux pour sa santé.

Reste un dernier point de contexte. Dans mon article sur Hikari no Densetsu (Cynthia et le Rythme de la Vie), j’évoquais la scène suivante : une fille cherche à nuire à l’héroïne en lui renversant du jus de fruit sur son justaucorps avant son entrée en scène ; et le jury, qui a assisté à cette tentative de sabotage, la pénalise car sa tenue est sale. L’acte est mesquin, le résultat injuste. Ce n’est rien comparé à Glass no Kamen.
Si la série devait se limiter à une simple confrontation entre les talents de chacun, ce serait trop facile. Non, il faut que l’héroïne s’en prenne plein la gueule. Contrairement à d’autres shôjo de l’époque, Maya doit faire face moins au Destin qu’à des adversaires qui n’hésiteront pas à employer des moyens vils pour se débarrasser d’elle et sa troupe. Quitte à parfois manquer de crédibilité, comme lorsqu’un des organisateurs d’un concours est aussi un des participants, pour le résultat que vous pouvez imaginer.
Or, dans cette série, un échec reste un échec même s’il n’a rien à voir avec les efforts et les talents des personnages. Des échecs avec souvent des conséquences dramatiques.

Le mot est lâché : dramatique. Glass no Kamen est un drame (même s’il reste rempli d’espoir), qui à ce titre n’hésite pas à aller loin dans la surenchère. Le but étant de montrer que Maya se relève tout le temps, que rien ne peut l’abattre, et que son jeu d’actrice doit lui permettre de surmonter même les pires coups bas. Dans cette optique, la mangaka n’hésite pas à charger la mule, mais c’est parfaitement cohérent vis-à-vis d’autres séries de l’époque, qui ne rechignaient pas non plus à confronter leurs héroïnes au pire. Les voir s’en sortir malgré tout rendant leurs réussites d’autant plus émouvantes, grandioses, et satisfaisantes.
Tant de violence psychologique et d’acharnement auront désormais du mal à passer, et deviendront à contrario une source de blagues au même titre que la série Batman de 1966, tout simplement car ce n’est plus en accord avec les standards actuels. Pourtant, tout cela participe à l’identité de la série, à son côté flamboyant, presque épique, avec des enjeux qui n’auraient autrement pas été aussi forts et donc poignants.

Mais tout n’est pas non plus que méchanceté et noirceur dans cette série, fort heureusement ! L’espoir se trouve au bout du chemin, et la seconde moitié s’avère moins violente envers Maya. Sinon, il s’agirait probablement plus d’un calvaire qu’autre chose.
Car l’héroïne arrive toujours à s’en sortir, même s’il lui faudra parfois prendre des chemins détournés, et parce que les personnages réellement mesquins ou manipulateurs ne sont pas si nombreux que cela, et ne peuvent pas espérer emporter leurs mauvais coups avec eux au paradis.
La relation entre Maya et Mme Tsukikage possède un aspect malsain, mais il n’est jamais présenté comme tel. Cette-dernière éprouve une véritable tendresse pour son élève, qui l’admire en retour et prend sa brutalité comme autant de bons conseils afin de s’améliorer. Son parcours est marqué par la rencontre avec de nombreux individus qui n’hésiteront pas à la soutenir, comme les autres membres de sa troupe, parfois ceux de troupes rivales, ou des acteurs confirmés qui sauront déceler tout son potentiel.
Surtout, il y a Ayumi.

Avec ses Anglaises et ses boucles d’or, Ayumi a tout de la petite fille modèle, née avec tous les avantages dont ne dispose pas l’héroïne. Fille d’une actrice, elle a ça dans le sang et semble promise à une grande carrière. Mais à l’instar de Reika dans Ace wo Nerae (Jeu, Set et Match), avec laquelle elle partage le même coiffeur, il s’agit surtout d’une travailleuse acharnée, qui n’utilise jamais sa position pour prendre de haut ses adversaires ou ses condisciples. Au contraire, elle est la première à souligner les qualités de Maya, qu’elle reconnait comme une rivale. Dans un environnement souvent hostile pour l’héroïne, leur rivalité parait très saine, puisqu’elles se poussent mutuellement à se dépasser – même si Ayumi est bien plus consciente que Maya du danger que celle-ci représente – sans jamais chercher à se mettre des bâtons dans les roues.

D’un point de vue technique, la série me donne l’impression de se situer dans la moyenne haute des productions de l’époque. Pour poursuivre la comparaison avec Ace wo Nerae, certes plus ancienne, nous sentons que le budget est plus conséquent, avec une animation fluide et qui ne doit pas recourir à trop d’artifices ou à une réutilisation intense de séquences d’animation (je n’en ai compté qu’une seule) pour cacher ses faiblesses. Un soin qui explique sans doute pourquoi la série ne dure que 23 épisodes et se termine par un épisode résumé : parce que tout le budget est déjà parti en fumée.
Par contre, Glass no Kamen n’a pas pour elle un réalisateur comme Osami Dezaki. Gisaburô Sugii possède une très belle carrière, notamment avec plusieurs adaptations des œuvres de Mitsuru Adachi, mais ne dispose pas non plus d’un style lui permettant de magnifier le récit ou d’amplifier l’émotion. Sinon à la fin du dernier épisode (hors résumé), la mise-en-scène est avant tout fonctionnelle. Elle ne pénalise donc pas l’ensemble, mais n’apporte pas non plus un surplus d’identité.

Je mentirai en prétendant que la série est facile d’accès.
L’impact de l’époque de production sur la qualité technique est une chose. Je me sais particulièrement friand de l’utilisation des couleurs, pour ne citer que cet aspect en particulier. Mais bon, si les animes datés me posaient problème, cela se saurait. D’autant que celui-ci m’apparait très soigné. Mais je reste conscient que nombre de spectateurs ne supportent pas les « vieilleries ».
La véritable difficulté consistera à accepter le ton emphatique et la proportion de la mangaka à confronter Maya au pire, afin de nous montrer à quel point elle est courageuse et déterminée. Glass no Kamen est cette série où l’héroïne va mettre un corset en bambou pour apprendre à se mouvoir comme une poupée, où sa rivale va aller mendier dans la rue afin de se préparer pour incarner Le Prince et le Pauvre, et où la prof va frapper son élève car elle a réagi en l’entendant briser un vase, alors qu’elle répétait un rôle de sourde et n’était donc pas censée entendre.
Il faudra accepter que tout cela n’est pas absurde, et que les victoires de l’héroïne sont d’autant plus belles que le chemin fût parsemé d’embuches, face auxquelles n’importe qui d’autre aurait renoncé. Ce n’est pas juste une histoire de théâtre, c’est une histoire sur la vie, sur le dépassement de soi, aussi intense voire plus que n’importe quel shônen sportif.

Ai-je apprécié cet anime ? Oui, sans aucun doute. Son histoire est prenante, ses héroïnes attachantes, la technique reste de qualité malgré son âge, c’est vraiment un plaisir de voir les personnages surmonter les obstacles sur leur route, et puis je savais à quoi m’attendre dans une certaine mesure, concernant les aspects les plus extrêmes de son scénario. Mais j’avoue que, même moi, j’ai trouvé que l’autrice allait trop loin, pensant parfois « elle ne va pas oser », pour ensuite réaliser que si, elle a osé. La seule exception restant que l’héroïne arrive à jouer une fille aveugle et sourde sans devoir se crever les yeux ou se percer les tympans (contrairement aux personnages de Saint Seiya).
Est-ce que je le recommande ? C’est beaucoup plus compliqué. Si vous êtes un vidéaste barbu à chemise hawaïenne plutôt spécialisé dans la moquerie de vieux jeux vidéo, ou que vous avez trouvé Ace wo Nerae et Hikari no Densetsu risibles, alors non, mille fois non. Rendez service à tout le monde : ne regardez pas, ce n’est pas pour vous. Cet anime demande d’accepter les extravagances propres aux shôjo des années 1970, et je ne parle même pas d’y être sensible ; sans quoi, ce n’est même pas la peine.
Glass no Kamen se trouve constamment sur le fil entre le drame poignant et le ridicule, et il reviendra au spectateur de décider de quel côté tombe la série. Pour ma part, j’ai choisi.

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6 commentaires pour Laura, Passion SM

  1. Mangachat dit :

    J’adore cet animé. C’est à cause de lui que je rêve que le manga soit publié en France (ou aux Etats-Unis).
    Il existe une version moderne du dessin animé (2005-2006) auquel je n’ai pas vraiment accroché sans que je m’explique bien pourquoi, mais c’est peut-être lié au fait que le côté dramatique et extrême de la série passe mieux dans un cadre passé que moderne avec téléphones portables et tout.

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    • Gemini dit :

      Je me posais justement la question pour l’anime des années 2000, si le studio avait pu aller aussi loin que la première adaptation, changement de mentalités oblige. Comme cette dernière est encore très fraiche dans mon esprit, je vais laisser passer un peu de temps avant de tenter le second anime (même si les avis à son sujet semblent globalement négatif).

      Bon, sinon, à quand le manga en France !?

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  2. Cyril dit :

    Je ne désespère pas complètement d’une sortie du manga en France : peut-être une fois que la série sera finie au Japon ?

    J’avais revu la série à l’occasion de la sortie du coffret DVD en France et je l’avais toujours trouvé plaisante à regarder, avec, en plus de l’histoire principale, le plaisir de découvrir quelques pièces de théâtre. Ca n’a pas empêché la critique du  » vidéaste barbu à chemise hawaïenne plutôt spécialisé dans la moquerie de vieux jeux vidéo » de m’amuser : j’y ai vu plus de second degré que pour Hikari, que le JDG n’a vraiment pas compris et le meme « psychopathe » était assez drôle – et loin d’être infondé au demeurant : tu fais les mêmes remarques, même si tu le fais de façon plus sérieuse et en replaçant la série dans le contexte de l’époque.

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  3. Gemini dit :

    Cyril >> J’avoue, je disais ça pour plaisanter, n’imaginant que trop bien ce qu’il pourrait faire avec cette série ; je ne me rappelais pas de ce passage.

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