Si nous partons du principe qu’un manga publié dans un magazine destiné à un public féminin est un shôjo, quid de leurs adaptations animées ? En d’autres termes, l’anime shôjo existe-t-il ?
Depuis les premières adaptations des travaux d’Osamu Tezuka dans les années 1950 jusqu’à nos jours, l’animation ressemble à un passage obligé pour nombre de titres, même si les shôjo en bénéficient sans doute moins que leurs alter-ego pensés pour un public masculin.
Néanmoins, si nous pouvons nous entendre sur la définition d’un shôjo concernant les manga, la question se pose quant à leurs adaptations. Le phénomène n’est évidemment pas propre aux shôjo, même s’il s’agira du sujet qui nous intéressera aujourd’hui.
En effet, nous partirons ici du principe que les manga shôjo se définissent avant tout selon leur public cible, leur magazine de publication servant d’indicateur (même s’il existe des exceptions). Mais les animes ont-ils nécessairement le même public cible que les œuvres d’origine ?
En effet, il faut prendre en compte que les manga et l’animation répondent à des logiques économiques différentes. Si un magazine peut se permettre, dans une certaine mesure, de s’écouler à quelques dizaines de milliers d’exemplaires, il n’en va pas de même pour l’animation, qui nécessite les compétences de très nombreuses personnes, avec les coûts que cela suppose. D’où la tentation, bien compréhensible, d’élargir au maximum le public cible d’origine ; même si certains animes n’existent que dans le but de promouvoir d’autres produits, et peuvent se contenter d’une cible bien précise de consommateurs.
Si moins de manga shôjo passent par la case animation par rapport aux shônen, c’est sans doute car tous les titres ne se prêtent pas à cet élargissement du public. Comme l’animation japonaise est habituellement financée par des comités de production – réunissant éditeurs, studios, producteurs de musique, ou encore sociétés spécialisées dans les jouets, les jeux vidéo, ou les produits dérivés – il peut arriver que certaines séries soient mises en chantier car aisément déclinables sous d’autres formes ; ce fût le cas d’Ultra Maniac de Wataru Yoshizumi, pour lequel de nombreux accessoires de magical girls absents du manga furent créés.
Un exemple intéressant est celui de Jeanne et Serge / Attacker Yu. Manga de Jun Makimura et Shizuo Koizumi publié dans le mangashi shôjo Nakayoshi, son adaptation animée est probablement une série événementielle, produite à l’occasion des JO de Séoul de 1988.
De nombreux éléments de la série d’animation, aussi bien dans sa forme que dans son fond, montrent qu’elle a été pensée pour attirer un public bien plus large qu’à l’origine.
Là où le sport n’est pas une fin en soi dans le manga, où l’héroïne le pratique en parallèle de ses études, l’anime met au contraire l’accent sur l’entrainement, la victoire, et la rivalité, des valeurs plus certainement mises en avant dans les shônen ; Jeanne / Yu allant jusqu’à quitter l’école pour devenir professionnelle.
Dans la forme, le studio recourt largement aux plans sur la culotte de l’héroïne, ainsi que sur des scènes de douche que nous imaginerions plus chez Rumiko Takahashi ou Ken Akamatsu.
Dans ces conditions, certes extrêmes, pouvons-nous encore affirmer qu’il s’agit d’un shôjo ?
Si nous parlons d’adaptations pour le passage du support papier à l’animation, et non de transposition, c’est bien que le processus implique plus qu’une mise en mouvement des personnages et des situations du manga.
Cela concerne notamment le graphisme, difficilement utilisable en l’état dans la mesure où l’animation repose sur ses propres contraintes.
Mais cela va plus loin : les animes étant le plus souvent produits en parallèle de la publication du titre d’origine, il peut être nécessaire de broder, de rajouter des protagonistes et des intrigues, d’en enlever d’autres, ou de répondre à certains désidératas des comités de productions. Dans Cynthia et le Rythme de la Vie / Hikari no Densetsu, l’anime introduit un triangle amoureux en rajoutant un personnage de musicien, que la mangaka décidera à son tour de reprendre dans le manga.
L’animation étant destinée à la télévision, celle-ci possède aussi ses propres contraintes, lesquelles pourront même changer selon les horaires de diffusion. C’est sans doute pour cela que, dans l’adaptation animée d’un célèbre shôjo manga – dont nous tairons le nom afin de ne pas dévoiler un élément primordial de l’intrigue – le suicide d’une des héroïnes se transforme en accident.
Le studio responsable de l’adaptation du manga Sabagebu! de Hidekichi Matsumoto, issu du Nakayoshi, va même plus loin en laissant son narrateur annoncer dès son introduction que cette version n’aura que peu de rapport avec l’original (hormis son titre). Comme ça, c’est dit !
En France, la politique des auteurs, largement répandue dans le milieu du cinéma, fait du cinéaste le véritable auteur d’une œuvre. Un principe que nous pourrions appliquer à l’animation japonaise, même s’il n’existe pas tant de réalisateurs dont le nom est connu du public. Hideaki Anno figure parmi les exceptions.
Celui-ci n’a jamais caché son appétence pour le shôjo, son premier anime Gunbuster / Top wo Nerae étant une relecture du Jeu, Set & Match / Ace wo Nerae de Sumika Yamamoto, publié dans le Margaret. Il est d’ailleurs lui-même héros de shôjo, son épouse Moyoco Anno (Happy Mania) ayant dessiné un manga relatant leur vie de couple.
En 1998, alors qu’il sort du succès de Neon Genesis Evangelion, il se lance dans l’adaptation animée de Elle et Lui / Kareshi Kanojo no Jijô, d’après le manga de Masami Tsuda publié dans le LaLa. Or, difficile de voir dans le résultat autre chose qu’un anime de Hideaki Anno, avec une animation à la limite de l’expérimentale, et des plans rappelant immédiatement ses précédents travaux. En outre, l’anime s’arrête avant que l’histoire n’entre dans la phase la plus sombre du manga, laissant l’impression d’un titre avant tout drôle et explosif, même si nous y trouvons une certaine noirceur chez les personnages, qui là encore fait écho à d’autres œuvres du réalisateur.
Bénéficiant probablement d’une grande liberté après Neon Genesis Evangelion, lui permettant de choisir ce sur quoi il voulait travailler, ce n’est sans doute pas par hasard qu’il a choisi ce titre en particulier, même s’il ne pourra pas l’adapter dans son intégralité. En effet, des différends créatifs entre l’autrice et le studio d’animation obligèrent ce-dernier à mettre un terme à la production. Elle reprochait en particulier au réalisateur de s’être trop appesanti sur l’humour au détriment de la romance .
Comme nous pouvons le voir à travers ces exemples, le processus d’adaptation du manga vers l’animation entraine nécessairement des changements, dont certains conduisent à s’interroger sur le public cible de l’anime et donc de son statut même. L’anime shôjo existe-t-il, ou n’est-ce qu’une vue de l’esprit ? Est-il seulement pertinent de parler d’animes adaptés de shôjo manga quand les studios peuvent apporter des modifications majeures, parfois contre l’avis des mangaka ?
Pour finir, il convient de mentionner le cas des séries multisupports, conçues en parallèle comme un manga et une série TV, dont celle-ci n’est donc pas directement l’adaptation. Même si le manga est bel et bien publié dans un mangashi shôjo – comme ce fût le cas pour Sailor Moon ou Utena, la Fillette Révolutionnaire / Shôjo Kakumei Utena – il parait encore moins légitime de parler d’anime shôjo.
Super article et très bonne analyse !
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Merci beaucoup 🙂
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Un article très intéressant 🙂
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