Si je vous dis : premier long-métrage de Hayao Miyazaki ? Ceux qui viennent de répondre Nausicaä de la Vallée du Vent ont perdu.
Quant à son premier long-métrage diffusé en France ? Contrairement à ce que veut la légende, ce n’est pas La Princesse des Étoiles, le remontage américain du chef d’œuvre sus-cité.
La réputation est une chose tenace, et le temps une salope. Pour de nombreux Français, Hayao Miyazaki, c’est le studio Ghibli. Et inversement, le studio Ghibli se résume à Hayao Miyazaki, au détriment de Isao Takahata.
La carrière de ces individus talentueux commence pourtant bien avant la fondation de cette illustre maison, ce que beaucoup auraient tendance à ignorer. Qui, par exemple, pour mentionner qu’ils ne se sont pas cantonnés au cinéma d’animation, ou que la célèbre série Heidi portent leur signature ?
Dans le même ordre d’idée, Le Château de Cagliostro reste encore aujourd’hui le film le moins connu de Hayao Miyazaki, sans doute car le seul sorti en France sans le sceau de qualité du studio mythique et le soutien de Buena Vista. Je n’exagère absolument pas : sur un site comme Senscritique, celui-ci accuse entre trois et dix fois moins de spectateurs que n’importe quel autre long-métrage du réalisateur !
Ce qui joue sans doute, aussi, en défaveur de ce premier coup de maître, c’est qu’il ne s’agit que d’un dérivé d’une série d’animation préexistante (Lupin III), donc d’un produit en apparence – et en apparence seulement – bien plus commercial que tout ce qu’il fera par la suite. Il suffit pourtant de le comparer à la série en question pour constater que Hayao Miyazaki impose sa vision d’auteur au détriment de l’œuvre d’origine (ce qui lui sera d’ailleurs largement reproché), et qu’il s’agit d’un hommage à peine voilé au Roi et l’Oiseau de Paul Grimault. Rien qu’avec ça, Les Cahiers du Cinéma et Télérama devraient avoir largement de quoi se branler.
Mais bon, si j’écris ce billet, ce n’est pas pour clamer tout le bien que je pense de cette production – une de ses meilleures – déjà car je l’ai déjà fait par le passé, et surtout car le visionnage récent du mystérieux Vidocq contre Cagliostro me pousse à écrire quelques mots à son sujet.
Avant de vous expliquer ce qu’est Vidocq contre Cagliostro, il convient de parler doublage.
Phénomène méconnu : il existe parfois plusieurs doublages pour une même œuvre. De nombreuses raisons expliquent ce phénomène : nous trouvons souvent une version française en parallèle d’une version québecoise, un doublage peut être remanié pour l’améliorer ou le remettre au goût du jour, et il arrive même que les bandes originales aient été perdues, et avec elles un moyen légal de les fournir à une personne ou une entreprise qui en ferait la demande. Autre problème : il se peut qu’un doublage voire certains noms (comme Goldorak) appartiennent à des ayant-droits tiers, qu’il faudra dans un premier temps identifier puis rémunérer en conséquence ; et si cela s’avère impossible, le doublage en question ne peut être exploité.
Quelques exemples qui me paraissent parlant. Les Evadés de l’Espace, de Kinji Fukasaku, fut doublé et projeté en France quelques mois avant l’arrivée de San Ku Kai, son adaptation télévisée ; afin de le vendre comme un complément à la série TV et sous le titre San Ku Kai le Film, AK Video a réalisé un second doublage (largement inférieur), reprenant les noms français des personnages de San Ku Kai et le générique de Didier Barbelivien et Éric Charden.
Beaucoup plus étonnant : les grands classiques de Walt Disney possèdent souvent plusieurs doublages. Ma mère a vu deux fois La Petite Sirène en salle – la première avec moi et la seconde avec ma petite sœur – à neuf ans d’intervalle, avec deux VF différentes. Si vous vous demandez laquelle est la plus réussie, un indice : il y en a une dans laquelle Henri Salvador chante Sous l’Océan, et l’autre non.
Ce qui nous amène à Vidocq contre Cagliostro. Ou pas. D’abord, un petit peu d’histoire.
En 1982, le projet avorté Lupin VIII met en lumière un problème gênant : les Japonais n’ont jamais cherché à savoir si le nom Lupin était libre de droit. Ce qu’il n’est pas. D’où embrouilles judiciaires avec les héritiers de Maurice Leblanc, qui n’auront finalement qu’une seule conséquence, avant tout symbolique : l’interdiction d’utiliser le nom du personnage sur le territoire français.
C’est donc sous le sobriquet de Vidocq (IVème du nom) que notre héros fait son apparition dans la langue de Molière, et avec lui le réalisateur Hayao Miyazaki. Nous sommes en 1982.
En France, Le Château de Cagliostro connaitra un destin contrarié. Tout comme le nom de son héros, qui passera au fil du temps et au gré des éditeurs de Vidocq à Edgar, Rupan, Wolf, Lupan,…
En 1982, donc, sort en VHS Vidocq contre Cagliostro, soit trois ans avant la diffusion de la série, rebaptisée pour l’occasion Edgar, Détective Cambrioleur.
En 1996, Manga Video s’empare du bébé, et pour combler les trous laissés par un premier doublage incomplet, nous en pond un nouveau. Mais, cette fois, le titre sera bien Le Château de Cagliostro.
Enfin, en 2005, IDP – qui effectuera un travail remarquable autour de cette licence – récupère les droits à son tour, pour nous proposer encore une autre VF.
Mais, me demanderez-vous, qu’est-ce qui change de l’une à l’autre ? Plein de choses. Avec toutefois une simili constante : la présence dans les versions de 1982 et 2005 de Philippe Ogouz dans le rôle titre, qu’il tiendra aussi dans Edgar, Détective Cambrioleur. Par contre, nous ne le retrouvons pas dans celle de 1996, probablement en raison d’un doublage au rabais. Car un Philippe Ogouz, c’est plus cher.
Vidocq contre Cagliostro est ambivalent. D’un côté, nous avons vraiment un casting de premier ordre : Gérard Hernandez en Jigen, Jacques Ferrière en Zenigata, Roger Carel en Cagliostro,… Il ne manque que Francis Lax. Si tu aimes le doublage, tu pleurs des larmes de sang. Il y a aussi une jeune Céline Monsarrat, dont j’apprécie certaines prestations, pour incarner Clarisse. Mais justement, en parlant de Céline Monsarrat : à la même époque, elle prêtait sa voix à l’héroïne de Princesse Millenium, film qui proposait une traduction aléatoire, voire parfois déplorable ; malheureusement, même constat ici : si les comédiens sont bons, les dialogues manquent de sens et ne s’avèrent pas toujours bien tournés. Parmi ses autres écueils : des chansons mollement interprétées en Français, des noms surprenants (l’inspecteur Lapoulaille), une romance entre Lupin et Clarisse largement mise en avant au détriment de la chasse au trésor, Fujiko avouant avoir été follement amoureuse du héros, et une coupe de 20 minutes fatale au personnage de Goemon.
Le doublage Manga Video, je l’ai déjà mentionné, a apparemment été pensé à l’économie. Les acteurs associés au projet ne présentent pas un curriculum vitæ bien élogieux, et nous comprenons pourquoi en écoutant le résultat. Par contre, cette fois, la traduction est correcte, le montage complet, et l’équipe a fait le choix de conserver les noms japonais au détriment de la cohérence avec la série télévisée. Un choix qui peut se défendre. Je retiendrai surtout les répliquent particulièrement savoureuses de notre samouraï préféré.
A l’inverse, la version IDP est celle de la cohérence. Comme pour les autres anime estampillés Lupin III qu’ils proposèrent à l’époque, ils ont tenu à rassembler un casting vocal le plus proche possible de celui de la série et de leurs autres inédits – donc de qualité. La traduction, quant à elle, est une nouvelle fois irréprochable. A noter que, dans l’édition Blu-Ray proposée par Kaze, c’est évidemment ce doublage qui a été conservé. De toute façon, il me semble qu’il est vendu comme un long-métrage Edgar, Détective Cambrioleur, et c’est le seul où le héros s’appelle effectivement ainsi.
En raison de défauts évidents – traduction approximative et remaniant fortement l’histoire, éviction du personnage de Goemon et de tout ce qui rappelle le Japon,… – celui de Vidocq contre Cagliostro ne peut malheureusement pas être considéré comme réussi. Mais ses interprètes aux timbres inoubliables constituent un indéniable atout charme, à condition d’être un amoureux du doublage. Les autres spectateurs privilégieront la version originale ou celle de IDP.