Kamui-den – Tome 1

Dans la lignée de son Sabu & Ichi, Kana sort dans la collection Sensei le premier volume de Kamui-den, un pavé de plus de 1400 pages. Et c’est la première fois que j’ai eu envie de vomir en lisant un manga.

Sanpei Shirato appartient à la catégorie des vieux mangaka, puisqu’il a commencé à travailler dans le domaine en 1959. Kamui-den constitue sa pièce maîtresse, pour laquelle il a ensuite écrit de nombreuses histoires parallèles ; mais l’ensemble de son travail s’articule autour des ninjas et de la société japonaise.
Il y aurait énormément à dire sur Kamui-den après lecture de ce premier tome (sur quatre prévus), même s’il est difficile d’en sortir un synopsis précis. Avant de représenter une histoire, ce manga représente une époque : l’ère Edo. Et au-delà de cette époque, le mangaka s’intéresse au système féodal, à ses aspects les plus effarants, et à ses nombreuses contradictions.
L’univers est hostile. La population est répartie selon un système de castes, chacune se soumettant à des règles rigides et absolues ; les briser signifiait la mort. Afin d’éviter que les plus basses catégories sociales ne se révoltent, tout était mis en place pour assurer un contrôle de la population et des connaissances, une dénonciation systématique, et surtout une haine féroce entre les castes afin qu’elles n’imaginent jamais s’unir.
Dans ce contexte, nous découvrons une série de personnages, appartenant à ces différentes catégories. Kamui, dont le nom donne son titre à la série, fait partie de la caste la plus basse, celle des hinin (les « non-humains »). Je passerai sur les conditions de vie misérables des hinin, pour m’intéresser de plus près à Kamui. Doté d’une volonté sans pareil, il n’a qu’un seul objectif : devenir fort. Car, dans son esprit, il n’y a que de cette façon qu’il arrivera à surmonter sa condition. Ce rêve le mènera sur la voie des ninjas.
Kamui est aussi le nom d’un loup, dont nous suivons le développement en parallèle de l’histoire. Et même s’il donne son nom au récit, le futur ninja Kamui n’apparait pas forcément comme le héros de la série, puisque d’autres personnages prennent tour-à-tour le devant de la scène, en particulier Ryunoshin, guerrier en quête de vengeance, et Shôsuke, simple domestique voulant devenir un paysan indépendant.

Comme précisé tantôt, il y aurait énormément de choses à dire sur ce manga. A tel point que je ne sais par où commencer. Il s’agit d’une œuvre passionnante, d’une grande force, mais de manière objective, j’ai des reproches à lui faire.
Imaginez, pour commencer, que les 200 premières pages ressemblent un peu à une chronique sur la vie des loups dans leur milieu naturel. Avec quelques images concernant des êtres humains, mais l’impression que j’en retire, c’est vraiment que cette introduction ne s’intéresse qu’aux loups. Cela parait tout de même légèrement hors-sujet. Arrivé à la fin de cette entame, un long texte du mangaka vient nous expliquer que oui, cela peut sembler déplacé, mais que cela aura une importance pour la suite.
Ajouter des textes explicatifs dans le manga, voilà probablement une des grandes particularités de Sanpei Shirato dans Kamui-den. Le plus souvent, il s’agit d’explications sur les lois, le mode de vie de l’époque, l’Histoire,… Bref, des éléments qui vont de soi pour les personnages, mais pas nécessairement pour les lecteurs. L’auteur s’est apparemment bien documenté, et distille de nombreuses précisions fort intéressantes. Malheureusement, il ne fait pas que ça dans ces textes. Il passe notamment pas mal de temps à se justifier, comme après ses longues chroniques sur les loups ; dès qu’il fait apparaître un personnage furtivement par un chapitre, il vient nous dire qu’il a quitté temporairement la trame principale, mais pour les besoins d’introduire une future figure majeure du récit. Surtout, le mangaka a tendance à prendre ses lecteurs pour des imbéciles, et malgré une narration parfaitement claire (malgré les sauts dans le temps ou entre les personnages), il se sent bien souvent obligé d’expliquer ce que n’importe quel lecteur un tant soit peu malin aura déjà parfaitement compris. Mais ces explications servent aussi un autre propos : nous imposer le point de vue de l’auteur. Sanpei Shirato, issu d’une famille d’artistes de gauche, utilise le modèle féodal comme métaphore du Japon des années 50/60 ; il souhaite transmettre ses idées, et cela donne des situations où, dénonçant l’emprise du pouvoir sur les paysans, il en rajoute encore une couche sous la forme d’un texte se résumant à : « admirez les aberrations de ce système scandaleux. »

Comme son propos consiste en grande partie à dénoncer, il n’hésite pas à aller très loin dans les aspects les plus ignobles de l’ère Edo. D’où mon dégoût devant certaines scènes. Un exemple concret : lorsqu’un paysan essayait de déserter son village – un acte formellement interdit – il se faisait crucifier devant ses concitoyens, ainsi que sa famille, afin de dissuader la population de suivre son exemple ; et pour bien les dissuader, la technique de mise à mort avait été pensée pour être vraiment dégueulasse, y compris pour les femmes et les enfants.
Je ne saurais dire s’il s’agit d’exagérations de la part du mangaka, ou une volonté de nous exposer une vérité crue. Le résultat peut s’avérer choquant, même pour moi (et pourtant j’ai un sacré passif).

Jusque-là, j’ai pu donner l’impression que Kamui-den était un manga trop politisé pour être valable. Il est effectivement politisé (même si son message date d’une cinquantaine d’années), mais il s’agit vraiment d’un titre exceptionnel.
Kamui-den se penche sur certaines des heures les plus sombres de l’histoire japonaise, au travers de plusieurs personnalités fortes. C’est un manga avec de l’action, du courage, des moments palpitants, mais aussi des drames humains effroyables et marquants ; sans oublier tout l’attrait historique. Là où la plupart des séries demeurent des œuvres superficielles, celle-ci se veut profonde. Et cela marche.
Concernant l’édition elle-même, je la trouve un cran au-dessous de celle de Sabu & Ichi. Mais pour le même prix, elle propose 400 pages de plus, ce qui permet de compenser.
Sans parler du format, Kana nous régale avec deux chefs d’œuvre – rien que ça – de la littérature japonaise, dont j’ai pris un immense plaisir à suivre ces premiers volumes. Vivement la suite.

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4 commentaires pour Kamui-den – Tome 1

  1. Ialda dit :

    J’ai surtout retenu de ma lecture qu’il n’avait pas usurpé sa réputation de monument, loin de là. Et pour ce qui est de sa politisation, c’est le contraire : le reste de la prod semble vide, amorphe et sans ambition, dépourvue de message à faire passer, aux côtés d’un tel coup de poing.

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  2. jf44 dit :

    Peu au fait de l’univers du Manga et de la société féodale japonaise – quoique pas complètement novice tout de même – j’ai été totalement captivé par ce premier volume de Kamui-Den dont j’attends maintenant la suite avec impatience. Il y a quelque chose de « Guerre et Paix » dans cette oeuvre magistrale…
    Et je ne crois pas que l’auteur prenne ses lecteurs pour des imbéciles. N’oublions pas dans quel contexte il l’a écrite.

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  3. minisolex dit :

    sur le site du9, un regard qui peut compléter ta critique sur Kamui Den:

    http://www.du9.org/Vues-Ephemeres-Decembre-2010

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  4. Ping : Camarade Japonais ! | Le Chapelier Fou

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